Temps forts de l'UEGW
Par le Dr Lucas Wauters
Gastro-entérologie et Hépatologie, Hôpitaux universitaires de Louvain, Louvain, Belgique
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Chapitres
A propos de cet article
Après 2 années d’éditions virtuelles, le congrès UEG Week 2022 a non seulement été organisé en présentiel (à Vienne) mais il s’est également tenu de manière hybride pour la toute première fois. Avec plus de 10 000 participants (dont 19 % en virtuel), c’est le plus gros congrès de gastro-entérologie en Europe et le « meilleur au monde », d’après les organisateurs et de nombreuses autres personnes. De nombreux temps forts ont porté sur le microbiote, dont voici une sélection.
APERÇU D’UN MICROBIOTE SAIN
Malgré une programmation le dernier jour du congrès, le succès rencontré par la session intitulée « The microbiome as modulators of gut function » (le rôle du microbiote dans la modulation de la fonction intestinale) s’explique facilement par la sélection d’experts. Présidée par le Pr Harry Sokol (Paris, France) et le Pr Tim Vanuytsel (Louvain, Belgique), la première conférence donnée par le Pr Jeroen Raes du Centre de microbiologie du VIB (Louvain, Belgique) portait sur le thème du microbiote intestinal sain. Il a rappelé qu’il est essentiel d’avoir une définition de ce qu’est une variation du microbiote normal pour pouvoir poser le bon diagnostic, mais que nous ne savons même pas ce que signifie une flore saine. En effet, l’analyse en population du Flemish Gut Flora Project (projet flamand sur la flore intestinale) a montré que < 10 % de la variation du microbiote pouvait s’expliquer par l’hôte et les facteurs environnementaux [1]. Il a montré que beaucoup de ces variables se retrouvaient dans le Dutch Microbiome Project (projet néerlandais sur le microbiote), qui a récemment confirmé les effets importants de l’environnement et de la cohabitation.[2]
En plus de l’importante variabilité interindividuelle, le Pr Raes a montré qu’il existe une variation intra-individuelle substantielle au niveau de la présence quantitative des genres microbiens.[3] Il a expliqué que la durée du transit intestinal n’était pas seulement le principal facteur de confusion dans la composition du microbiote, mais également le facteur explicatif de sa variation temporelle chez les personnes en bonne santé. Alors que les entérotypes (compositions communautaires préférentielles) étaient restés relativement stables, il a richement illustré la nature dysbiotique du nouvel entérotype B2, caractérisé par un nombre élevé de bactéries du genre Bacteroides et une faible charge microbienne. En plus de la valeur diagnostique de ce marqueur dans différentes maladies, il a présenté des données surprenantes sur le rôle joué par les statines dans la modulation du microbiote. Pour finir, il a souligné la nécessité de mener davantage de travaux d’écologie in vitro, car l’identification des espèces et de leurs interactions est essentielle pour améliorer les traitements probiotiques et la transplantation de microbiote fécal (TMF).
GROS PLAN SUR LES SOUCHES ET LES MÉTABOLITES MICROBIENS
AEn alternative aux travaux in vitro, des chercheurs italiens ont présenté une approche métagénomique améliorée au niveau des souches, visant à identifier les sous-types d’espèces en lien avec la TMF. Dans le cadre du premier des nombreux abstracts intéressants présentés lors de la session intitulée « Gut microbiome as pathogenic and therapeutic player » (le microbiote intestinal : un acteur pathogène et thérapeutique), la prise de greffe ou les événements de partage de souches chez les donneurs et les receveurs de TMF ont été illustrés pour différentes maladies. Point intéressant, le succès clinique de la TMF a été associé à une plus grande prise de greffe des souches du donneur, qui s’est encore améliorée avec de multiples voies d’administration et après l’utilisation d’antibiotiques pour les maladies infectieuses.[ 4] Grâce à ces découvertes, la sélection des donneurs pourrait permettre à l’avenir d’optimiser non seulement la composition du microbiote mais également la réponse post-TMF, avec des protocoles spécifiques pour les différentes maladies.
Pendant la principale session sur le microbiote, le Pr Nicolas Cenac (Toulouse, France) a expliqué le rôle des lipopeptides bactériens dans le syndrome de l’intestin irritable (SII), l’un des troubles gastro-intestinaux les plus fréquents. Suite à la démonstration des propriétés analgésiques de ces métabolites, son groupe a exploré le lien entre la dysbiose induite par le stress pendant la grossesse et le développement d’une hypersensibilité viscérale (HSV) d’origine colique, caractéristique du SII. Il a montré que les symptômes de type SII induits par le stress prénatal chez la souris, avec une diminution de Ligilactobacillus murinus, étaient associés à une HSV. Ce phénomène a également entraîné une production plus faible de lipopeptides contenant de l’acide γ-aminobutyrique (GABA), avec une régression de l’HSV après administration intracolique chez la souris. Le Pr Cenac a expliqué en quoi une traduction chez l’être humain était nécessaire et confirmée par une baisse des lipopeptides contenant du GABA dans les selles des patients atteints de SII. Les métabolites microbiens sont de nouveaux acteurs prometteurs dans le SII et ont fait l’objet d’une publication complète après le congrès.[5]
MICROBIOTE, RÉGIME MÉDITERRANÉEN ET IMMUNOTHÉRAPIE
Lors de l’UEG Week, des abstracts importants ont traité des facteurs potentiels liés au succès de l’immunothérapie dans le mélanome, un type de cancer de la peau. Le Dr Johannes R. Björk (Groningue, Pays-Bas) a présenté les modifications intervenant dans le microbiote intestinal en réponse à l’immunothérapie. Figurant parmi les lauréats du prix « Top Abstract », il a démarré la deuxième partie de la session d’ouverture en indiquant que des biomarqueurs microbiens intestinaux, présents au départ, permettaient de prédire la réponse au traitement. Cependant, il a expliqué que la dynamique du microbiote au cours du traitement restait encore inexplorée. Basée sur une étude de cohorte multicentrique, son analyse longitudinale de prélèvements de selles répétés a montré que les espèces de la famille Lachnospiraceae augmentaient chez les répondeurs, alors que les espèces de la famille Bacteroides augmentaient chez les non-répondeurs. En plus de ces nouvelles cibles potentielles (par exemple pour la TMF), les modifications du microbiote chez les personnes souffrant de colite induite par l’immunothérapie pourraient également constituer des marqueurs diagnostiques à l’avenir.
Point intéressant, l’augmentation des bactéries productrices de butyrate chez les répondeurs a suggéré que la dégradation des fibres pouvait jouer un rôle. Par conséquent, les mêmes groupes de chercheurs des Pays-Bas et du Royaume-Uni se sont concentrés sur le rôle de l’alimentation dans le cadre d’une autre analyse. Ils ont montré que les patients qui répondaient à l’immunothérapie avaient davantage tendance à suivre un régime méditerranéen, qui est riche en acides gras mono-insaturés, en polyphénols et en fibres. En outre, les effets indésirables immuno-médiés étaient moins fréquents avec la consommation de céréales complètes ou de légumineuses et plus fréquents avec la viande rouge et transformée. D’autres essais cliniques montreront si cela se traduit en bénéfices thérapeutiques pour différents types de tumeurs, y compris les cancers gastro-intestinaux.
En conclusion, des découvertes importantes sur les souches et les métabolites microbiens et sur le rôle de l’alimentation nous permettent de mieux comprendre le microbiote intestinal dans la maladie, tout en tenant compte d’importants facteurs de confusion (même dans le microbiote sain).
1. Falony G, Joossens M, Vieira-Silva S, et al. Population-level analysis of gut microbiome variation. Science (80) 2016; 352: 560-4.
2. Gacesa R, Kurilshikov A, Vich Vila A, et al. Environmental factors shaping the gut microbiome in a Dutch population. Nature 2022; 604: 732-9.
3. Vandeputte D, De Commer L, Tito RY, et al. Temporal variability in quantitative human gut microbiome profiles and implications for clinical research. Nat Commun 2021; 12.
4. Ianiro G, Punčochář M, Karcher N, et al. Variability of strain engraftment and predictability of microbiome composition after fecal microbiota transplantation across different diseases. Nat Med 2022; 28.
5. Petitfils C, Maurel S, Payros G, et al. Identification of bacterial lipopeptides as key players in IBS. Gut 2022; Online ahead of print.