L’axe intestin-cerveau
Par le Pr Sarkis K. Mazmanian, John W. Bostick, Nadia Suryawinata
Biologie et Ingénierie biologique, Institut de technologie de Californie, Pasadena, Californie, États-Unis d’Amérique
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Chapitres
A propos de cet article
Commentaire de l’article de Gabanyi et al. (Science 2022) [1]
Le microbiote affecte le métabolisme et de récentes données indiquent que les bactéries intestinales seraient impliquées dans les comportements alimentaires chez la souris. L’un des défis dans ce domaine consiste à définir les voies intestin-cerveau qui relient les composés microbiens aux processus neuronaux impactant l’appétit. Dans cette étude, Gabanyi et son équipe ont identifié un rôle fonctionnel pour Nod2, un récepteur de reconnaissance de motifs moléculaires pour les muropeptides bactériens (des composants de la paroi cellulaire bactérienne), dans la régulation de l’appétit et de la température corporelle chez la souris femelle âgée. Les auteurs ont découvert que les muropeptides s’accumulent dans le cerveau des souris âgées et régulent l’activité des neurones inhibiteurs du noyau arqué de l’hypothalamus. Un déficit ciblé en Nod2 dans ces neurones entraîne une augmentation de l’appétit, une prise de poids et une diminution de la réponse de la température corporelle, dépendantes de la présence du microbiote. Ces résultats suggèrent que la régulation de l’activité neuronale par la signalisation Nod2 dans le cerveau affecte des comportements complexes chez la souris et mérite d’être davantage étudiée.
QUE SAIT-ON DÉJÀ À CE SUJET ?
La prise alimentaire est essentielle à la survie des animaux et la régulation inappropriée du comportement alimentaire a des conséquences métaboliques et psychiatriques graves, telles que l’obésité et l’anorexie [2]. La prise alimentaire implique des processus complexes allant de la transformation des nutriments et de leur absorption dans l’intestin et sa périphérie au système nerveux central qui régule l’appétit et commande l’alimentation. Dans le domaine de la biologie de l’appétit, de nombreux travaux se sont concentrés sur la caractérisation des circuits neuronaux impliqués dans l’alimentation, comme les neurones exprimant AgRP (agouti-related peptide) dans le noyau arqué de l’hypothalamus qui sont nécessaires à la prise alimentaire homéostatique [3]. Plus récemment, on a montré que l’intestin et les micro-organismes qui y résident régulent le métabolisme [4] et des aspects du comportement alimentaire [5]. Le fait que des composés produits par les micro-organismes influencent l’appétit est moins bien établi. Les acides gras à chaîne courte, sous-produits de la fermentation microbienne, réduisent la prise alimentaire chez la souris [6].
Cependant, l’existence d’une voie intestin-cerveau qui relie les composés microbiens aux processus neuronaux régulant l’appétit et le comportement alimentaire n’a encore jamais été démontrée. Le récepteur Nod2 jouerait un rôle dans la prise alimentaire ; en effet, des souris dont le gène Nod2 a été invalidé montrent une prise de poids accrue lorsqu’elles reçoivent une nourriture riche en graisses [7]. En outre, NFkB (nuclear factor kB), composant de signalisation en aval de Nod2, est exprimé dans les neurones de l’hypothalamus, et son activation hypothalamique régule l’équilibre énergétique [8]. Cela suggère que l’hypothalamus pourrait présenter un point d’intégration unique pour les signaux dérivés du microbiote et les comportements alimentaires.
QUELS SONT LES PRINCIPAUX RÉSULTATS APPORTÉS PAR CETTE ÉTUDE ?
Les auteurs ont démontré que l’activation de la signalisation Nod2 dans l’hypothalamus affectait le comportement alimentaire et la régulation de la température corporelle chez la souris (Figure 1). Il s’est avéré que Nod2 était exprimé dans les neurones de différentes régions du cerveau de la souris, dont le striatum, le thalamus et l’hypothalamus. Les auteurs ont ensuite cherché à déterminer si des muropeptides radiomarqués pouvaient atteindre le cerveau lorsqu’ils étaient introduits par le tractus gastro-intestinal directement ou via des bactéries radiomarquées. Les deux modes d’administration ont entraîné une accumulation de muropeptides dans le cerveau.
Afin d’étudier le rôle fonctionnel de Nod2 dans les neurones, des modèles de souris knock-out conditionnels ciblant Nod2 à des fins de délétion ont été utilisés pour montrer que les souris femelles plus âgées avec délétion de Nod2 dans les neurones inhibiteurs exprimant le transporteur vésiculaire du GABA (Vgat/Slc32a1) connaissent une prise de poids plus importante et un dérèglement du contrôle de la température corporelle. La mesure de l’expression de Fos dans le cerveau a révélé que les souris femelles plus âgées ont une activité neuronale plus importante dans les noyaux arqué et dorso-médial de l’hypothalamus. Ensuite, les auteurs ont injecté des virus adéno-associés (AAV) exprimant Cre chez des souris Nod2flox pour invalider l’expression de Nod2 localement dans les neurones inhibiteurs du noyau arqué de l’hypothalamus, démontrant que le déficit en Nod2 dans les neurones hypothalamiques était suffisant pour induire des variations de poids et un dérèglement de la température corporelle (Figure 2).
Enfin, pour examiner le rôle du microbiote dans les variations Nod2-dépendantes de l’appétit et de la régulation de la température, les auteurs ont administré des antibiotiques à large spectre aux souris dont le gène Nod2 a été invalidé spécifiquement au niveau des neurones hypothalamiques. Les souris déficitaires en Nod2 au niveau hypothalamique soumises à l’antibiothérapie présentent un appétit et une prise de poids normaux jusqu’à la suppression des antibiotiques, moment auquel elles présentent une augmentation de l’appétit et de la prise de poids par rapport aux souris témoins non déficitaires en Nod2. Ces données suggèrent que les produits dérivés du microbiote peuvent moduler l’appétit chez les souris femelles via un mécanisme Nod2-dépendant.
POINTS CLÉS
- Nod2 est exprimé dans les neurones de différentes régions du cerveau de la souris, dont le striatum, le thalamus et l’hypothalamus
- Les ligands de Nod2, tels que les muropeptides, s’accumulent dans le cerveau des souris âgées
- L’activité des neurones inhibiteurs hypothalamiques est régulée par l’expression de Nod2
- La régulation de l’appétit et de la température corporelle est perturbée chez les souris femelles âgées déficitaires en Nod2
QUELLES SONT LES CONSÉQUENCES EN PRATIQUE ?
Dans ces nouveaux travaux intéressants, Gabanyi et son équipe ont identifié un rôle fonctionnel pour l’expression de Nod2 au niveau des neurones de l’hypothalamus dans la régulation de l’appétit et de la température corporelle chez la souris femelle âgée, mais pas chez le mâle. Les mécanismes cellulaires et moléculaires déterminant cet effet restent à élucider. Des différences entre les sexes dans la composition du microbiote pourraient jouer un rôle dans les divergences observées au niveau de la réponse au déficit neuronal en Nod2 ; cependant, la composition microbienne n’a pas été étudiée par les auteurs. En outre, en plus des muropeptides, d’autres produits dérivés des micro-organismes et des stimuli endogènes peuvent réguler l’expression ou l’activation de Nod2 [9], même s’ils ne sont pas traités dans cette étude. Davantage de données sont nécessaires pour distinguer l’activité et la contribution de ces autres stimuli de celles des muropeptides. D’autres éléments ont pu contribuer aux résultats rapportés dans cet article, notamment l’augmentation de la perméabilité de l’intestin et de la barrière hémato-encéphalique intervenant avec l’âge, qui pourrait permettre à davantage de molécules dérivées des micro-organismes de pénétrer dans la circulation à partir de l’intestin et de s’accumuler dans le cerveau [10]. D’autres études sont nécessaires pour clarifier les rôles du sexe et de l’âge dans les phénotypes observés.
Conclusion
Cette étude rapporte que le déficit en Nod2 dans les neurones hypothalamiques est suffisant pour induire des variations au niveau de la régulation de l’appétit et de la température corporelle chez la souris femelle âgée. Une réplication chez la souris et des travaux ultérieurs chez l’être humain sont nécessaires pour valider ces résultats prometteurs.
1. Gabanyi I, Lepousez G, Wheeler R, et al. Bacterial sensing via neuronal Nod2 regulates appetite and body temperature. Science 2022; 376: eabj3986.
2. Gautron L, Elmquist JK, Williams KW. Neural control of energy balance: translating circuits to therapies. Cell 2015; 161: 133-45.
3. Chen Y, Lin YC, Kuo TW, Knight ZA. Sensory detection of food rapidly modulates arcuate feeding circuits. Cell 2015; 160: 829-41.
4. Zarrinpar A, Chaix A, Xu ZZ, et al. Antibiotic-induced microbiome depletion alters metabolic homeostasis by affecting gut signaling and colonic metabolism. Nat Commun 2018; 9: 2872.
5. Yu KB, Hsiao EY. Roles for the gut microbiota in regulating neuronal feeding circuits. J Clin Invest 2021; 131: 143772.
6. Frost G, Sleeth ML, Sahuri-Arisoylu M, et al. The short-chain fatty acid acetate reduces appetite via a central homeostatic mechanism. Nat Commun 2014; 5: 3611.
7. Rodriguez-Nunez I, Caluag T, Kirby K, Rudick CN, Dziarski R, Gupta D. Nod2 and Nod2-regulated microbiota protect BALB/c mice from diet-induced obesity and metabolic dysfunction. Sci Rep 2017; 7: 548.
8. Zhang X, Zhang G, Zhang H, Karin M, Bai H, Cai D. Hypothalamic IKKbeta/NF-kappaB and ER stress link overnutrition to energy imbalance and obesity. Cell 2008; 135: 61-73.
9. Kuss-Duerkop SK, Keestra-Gounder AM. NOD1 and NOD2 Activation by Diverse Stimuli: a Possible Role for Sensing Pathogen-Induced Endoplasmic Reticulum Stress. Infect Immun 2020; 88: e00898-19.
10. Mossad O, Batut B, Yilmaz B, et al. Gut microbiota drives age-related oxidative stress and mitochondrial damage in microglia via the metabolite N6-carboxymethyllysine. Nat Neurosci 2022; 25: 295-305.