Les goûts et les couleurs, ça se discute : comment notre microbiote buccal module la perception des saveurs
Vous êtes-vous déjà demandé pourquoi des plats pourtant identiques peuvent avoir un goût totalement différent pour chacun de nous ? Une étude récente jette un pavé dans la mare : c’est dans notre microbiote buccal qu’il faut chercher la clé du mystère. Que nous ayons un penchant pour les sucreries ou que nous préférions l’amertume des légumes verts, cette étude suggère en effet que le large éventail de microbes qui vivent dans notre bouche joue un rôle crucial pour résoudre l’énigme de nos expériences gustatives personnelles.
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Il s’avère que le secret pour lequel un même aliment peut avoir un goût différent selon les personnes pourrait bien se cacher dans notre bouche, et pas seulement dans nos papilles gustatives, mais aussi au sein de l’univers microscopique de notre microbiote buccal. Selon une étude 1 récente menée par une équipe de scientifiques du Centre des Sciences du Goût et de l’Alimentation de Dijon 2, la variété des bactéries résidant dans notre salive et sur notre langue (microbiote buccal) pourrait être pour beaucoup dans notre façon de percevoir les saveurs de base.
Le microbiote ORL
Les microbes ont une influence sur chaque bouchée
En utilisant une technique de pointe de séquençage métagénomique par shotgun, les scientifiques ont identifié plus de 650 espèces microbiennes vivant sur la langue et dans la salive de 100 sujets humains différents. Si la richesse totale du microbiote buccal et sa biodiversité n’ont pas de corrélation directe avec les variations de la sensibilité gustative, l’abondance relative de certaines espèces et de certains genres bactériens essentiels semble avoir une influence. Deux groupes de bactéries en particulier, Streptococcus et Prevotella, se sont distingués par leurs effets spectaculaires, bien que ceux-ci varient considérablement en fonction de l'espèce concernée.
Le saviez-vous ?
Sur les 6 500 personnes interrogées par l’Observatoire International des Microbiotes 3, 57 % ignoraient l’existence même du microbiote buccal !
Notre langue est particulièrement sensible aux saveurs
Des proportions plus élevées de Streptococcus gordonii et de S. parasanguinis sur la langue, deux bactéries communes de la plaque dentaire, ont été associées à une sensibilité considérablement réduite aux cinq saveurs de base :
- sucré
- salé
- amer
- acide
- umami
Ces bactéries adeptes de l’adhérence modifient probablement l’environnement structurel du biofilm de la langue de manière à entraver physiquement la diffusion des molécules gustatives et leur accès aux récepteurs sous-jacents.
À l’inverse, une espèce de Prevotella non classée a eu l’effet opposé en augmentant l’intensité de la perception de quatre des cinq saveurs de base. Curieusement, en comparant la composition du microbiote de la langue elle-même à celle de la salive dans son ensemble, les chercheurs ont observé que ce dernier écosystème est capable de mieux prédire les différentes sensibilités gustatives. Ce constat tend à indiquer que les bactéries buccales modulent sans doute la perception des saveurs non seulement par leur influence locale sur l’exposition des papilles gustatives mais aussi par le biais de la dynamique de la communauté microbienne et de ses interactions métaboliques.
Bien que des études supplémentaires soient encore nécessaires pour clarifier les mécanismes mis en jeu, ces résultats spectaculaires mettent en lumière une fonction sous-estimée de notre microbiote buccal endogène, à savoir, celle de façonner activement des expériences gustatives en « goûtant » pour nous et en traitant de manière différenciée les signaux alimentaires envoyés aux récepteurs gustatifs eux-mêmes.
La compréhension de cette modulation microbienne pourrait un jour contribuer à améliorer les approches visant à combattre les problèmes nutritionnels causés par la perte et le dysfonctionnement du goût liés à l'âge, à la prise de médicaments ou à la maladie. La prochaine étape consistera également à comprendre la contribution du microbiote buccal conjointement à d’autres facteurs impliqués dans la perception des saveurs, tels que la génétique des récepteurs gustatifs, le nombre de papilles gustatives ou la biochimie de la salive.
De manière plus générale, cette étude met en évidence l’étonnante complexité de l’alimentation, même élémentaire, en tant que processus multisensoriel intégrant notre perception, notre digestion, notre immunité et nos microbes.