Interaction entre microbiote buccal et infection par le SARS-COV-2
Synthèse
Par le Dr Jay Patel
Institut Usher des sciences de la santé de la population et de l’informatique, Université d’Édimbourg, Royaume-Uni
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Chapitres
A propos de cet article
La bouche héberge une charge bactérienne élevée et diverse intégrée dans des matrices extracellulaires. Une mauvaise hygiène bucco-dentaire peut faciliter les changements dysbiotiques dans ces biofilms polymicrobiens, favorisant la colonisation et la prolifération d’espèces bactériennes de plus en plus pathogènes. Si l’on connaît le rôle du microbiote dans l’inflammation, des études récentes suggèrent que la dysbiose du microbiote buccal pourrait être associée à la sévérité et la durée des symptômes de la Covid-19. Chez les patients concernés, le maintien ou le renforcement des pratiques d’hygiène bucco-dentaire pourrait améliorer les résultats cliniques.
L’HISTOIRE D’UN PARTENARIAT MALÉFIQUE
On sait que les infections virales précipitent les co-infections bactériennes. La majorité des décès survenus lors de la pandémie de grippe de 1918 étaient directement attribuables à une pneumonie bactérienne secondaire [1]. Par ailleurs, les résultats cliniques sévères de la pandémie de grippe H1N1 de 2009 étaient associés à des co-infections bactériennes [2]. Le défi que représente la co-pathogenèse virale-bactérienne lors des épidémies de maladies infectieuses peut considérablement compliquer la réponse globale, retarder la récupération et accélérer la résistance aux antimicrobiens. Heureusement, les résultats d’une étude de cohorte multicentrique portant sur près de 50 000 patients ont révélé que peu d’infections bactériennes ont été signalées chez les patients hospitalisés pour Covid-19 [3]. Il convient toutefois de noter que le diagnostic des co-infections est complexe, car les organismes peuvent se présenter avant l’infection virale, dans le cadre d’une infection chronique sousjacente ou être contractés par voie nosocomiale [4].
LE MICROBIOTE BUCCAL : DE L’EUBIOSE À LA DYSBIOSE
La cavité buccale et les voies respiratoires supérieures hébergent une charge bactérienne élevée et richement diversifiée. À l’état sain, le microbiome buccal maintient une relation finement équilibrée et harmonieuse, mais de petits changements dans les comportements habituels peuvent entraîner des modifications écologiques substantielles de cette symbiose. Une mauvaise hygiène bucco-dentaire peut rendre l’environnement pathogène, faisant passer le microbiome dans un état de dysbiose, où les conditions de processus pathologiques se trouvent renforcées [5, 6].
La maladie parodontale, c’est-à-dire l’inflammation chronique des gencives, est principalement due aux composants inflammatoires du biofilm et elle modifie l’architecture des tissus gingivaux en créant des micro-ulcères. Ceux-ci forment une communication entre la cavité buccale et le sang, ce qui conduit à ce que des activités courantes, comme la mastication, l’utilisation de fil dentaire et le brossage des dents, induisent une bactériémie. Les bactéries buccales et les médiateurs inflammatoires sont ensuite largement disséminés dans le sang et atteignent les organes vitaux. Les preuves disponibles montrent que l’exposition à la bactériémie peut être extrêmement préjudiciable et contribue à une inflammation systémique de bas grade qui précipite les états inflammatoires [5]. Par ailleurs, la parodontite est un facteur aggravant de l’incidence du diabète de type II et la dysbiose du microbiote buccal est impliquée dans les affections parodontales et métaboliques (maladies cardiovasculaires, dyslipidémies…) [7].
DYSBIOSE BUCCALE ET SÉVÉRITÉ DE LA COVID-19, Y A-T-IL UN LIEN ?
Les recherches sur cette association sont limitées, mais les quelques études existantes indiquent des liens intéressants. Une étude transversale en double aveugle portant sur 303 patients atteints de Covid- 19 confirmée par PCR en Egypte a examiné l’interaction entre trois facteurs : 1)l’hygiène bucco-dentaire ; 2) la sévérité de la Covid-19 ; et 3) les valeurs de la protéine C réactive (CRP). La CRP est un marqueur de l’hyperinflammation, l’hypothèse a donc été émise que les patients présentant des taux élevés de CRP auraient un pronostic plus défavorable en cas de Covid-19 [8]. Les chercheurs ont constaté qu’une mauvaise santé bucco-dentaire était corrélée à des valeurs de CRP plus élevées et une période de récupération plus longue.
Une étude cas-témoins (non appariée) portant sur 568 patients au Qatar a révélé que la parodontite était associée à des complications sévères de la Covid-19, notamment une augmentation de 3,5 fois du besoin d’un respirateur, de 4,5 fois du risque d’admission en soins intensifs et de 8,8 fois du risque de décès [9]. Même si ces résultats ne suggèrent pas de lien de causalité et que d’autres facteurs peuvent être impliqués, les associations sont frappantes et justifient de se poser des questions supplémentaires sur le rôle véritable de la dysbiose buccale sur les résultats de la Covid-19.
Cette relation largement hypothétique repose sur un certain nombre de facteurs qui ont une pertinence commune dans la physiopathologie de l’infection par le SARS-CoV-2 et de la parodontite. Par exemple, les preuves radiologiques pulmonaires de processus pathologiques vasculaires primaires suggèrent un axe oral-vasculaire- pulmonaire formant une voie d’infection directe, en plus de la délivrance vasculaire directe aux vaisseaux pulmonaires (Figure 1) [10]. Deuxièmement, les analyses métagénomiques ont déterminé que les voies respiratoires supérieures – un site anatomique initial clé de l’infection – sont riches en espèces bactériennes impliquées dans les maladies buccales et souligné le rôle de la cavité buccale comme réservoir viral naturel. Troisième facteur, la survie adéquate du virus dans le biofilm sous-gingival et la capacité de translocation du virus de la salive vers la poche parodontale, qui contribuent toutes deux à l’échappement à la réponse immunitaire de l’hôte. Quatrièmement, l’abondance des récepteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine 2 sur les composants clés de l’axe oral-vasculaire-pulmonaire.
UNE BONNE HYGIÈNE BUCCO-DENTAIRE
Quelle que soit la nature précise des micro- organismes buccaux impliqués dans la physiopathologie de la Covid-19, une bonne hygiène bucco-dentaire doit être encouragée compte tenu de ses effets bénéfiques connus sur la santé buccale et la santé générale. Un brossage soigneux des dents deux fois par jour, un nettoyage interdentaire et l’utilisation d’un bain de bouche complémentaire sont des mesures relativement simples qui vont perturber le biofilm, maintenir une flore symbiotique et diminuer la concentration du virus dans la salive.
Conclusion
En résumé, le rôle d’une mauvaise hygiène bucco-dentaire sur la sévérité des résultats de la Covid-19 est peu étudié et peu clair. Toutefois, le rôle potentiel d’une interaction cliniquement pertinente est une déduction logique. Le maintien ou l’amélioration des pratiques d’hygiène bucco-dentaire présente des avantages évidents pour la santé bucco-dentaire et la santé générale et pourrait également, au cours des infections par le SARS-CoV-2, améliorer le pronostic de la maladie.