L'intégration de Bacteroidota et Lachnospiraceae au microbiote intestinal à des moments clés du début de la vie est lié au développement neurologique du nourrisson
ARTICLE COMMENTÉ - RUBRIQUE ENFANT
Par le Pr Emmanuel Mas
Gastro-entérologie et nutrition, Hôpital des Enfants, Toulouse, France
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Chapitres
A propos de cet article
Commentaire de l’article original d’Oliphant K et al. [1]
Le microbiote intestinal joue un rôle essentiel dès les premiers mois de vie dans le développement de l’hôte et influence le fonctionnement du cerveau. Cette étude a examiné l’association entre la progression du microbiote intestinal dès la première semaine de vie et la croissance du périmètre crânien (HCG). Des échantillons fécaux ont été prélevés chaque semaine sur une cohorte de prématurés pour évaluer la composition du microbiote intestinal, en lien avec des données cliniques et des mesures du périmètre crânien. Les prématurés présentant des trajectoires HCG sous-optimales avaient une diminution de l’abondance/prévalence de Bacteroidota et Lachnospiraceae, indépendamment de la morbidité et de la restriction calorique. Cet article montre que leur intégration dans le microbiote intestinal doit se produire tôt pour un neurodéveloppement optimal.
QUE SAIT-ON DÉJÀ À CE SUJET ?
Les troubles du développement neurologique sont fréquents chez les jeunes enfants, touchant jusqu’à 8,4 % des moins de 5 ans dans le monde. La croissance du périmètre crânien (HCG) est un marqueur corrélé au développement neurologique précoce.
Il est important de rechercher des facteurs environnementaux qui pourraient être modifiés pour réduire les troubles du développement neurologique. Les études interventionnelles en nutrition n’ont pas montré de résultats significatifs sur le neurodéveloppement (ex : bénéfice de l’allaitement maternel). Les auteurs se sont intéressés au microbiote intestinal (MI) car sa mise en place au cours des premiers mois de vie ainsi que l’utilisation des antibiotiques durant la première année sont associées à différentes pathologies dont les troubles du neurodéveloppement plus tard dans l’enfance, notamment les troubles de l’attention avec hyperactivité et du spectre autistique.
L’objectif de l’étude était de rechercher si les caractéristiques du MI précoce étaient associées à une trajectoire suboptimale de HGT (SHCGT).
QUELS SONT LES PRINCIPAUX RÉSULTATS APPORTÉS PAR CETTE ÉTUDE ?
Des nouveau-nés nés < 37 semaines d’âge gestationnel (service de néonatologie de Chicago) ont été inclus entre janvier 2010 et décembre 2018. La trajectoire HCG était la différence en z-score du périmètre crânien mesuré à 36 semaines d’aménorrhée (SA) et à la naissance ; les intervalles de 0,5 z-score définissaient les groupes ayant une trajectoire HCG appropriée (AHCGT) ou altérées (SHCGT, minime, modérée et sévère).
La diversité β du MI différait significativement entre les nourrissons SHCGT et AHCGT, de même que le changement d’abondance des taxas dans les selles, à 30 SA. La baisse > 0,5 z-score de HCG survenait entre 31 et 36 SA dans les groupes SHCGT. Cela suggère qu’un MI « immature » précède la SHCGT.
Les nourrissons SHCGT avaient une abondance significativement diminuée de Bacteroidota (p = 0,0009) (Figure 1) et Lachnospiraceae (p = 0,009), entre 31 et 36 SA, ce qui pourrait entraîner une diminution de la capacité d’utilisation des hydrates de carbone par ces taxas. La prévalence de la famille des Ruminococcaceae (p = 0,007) était attribuée à l’espèce Faecalibacterium prausnitzii (p = 0,004), 48 % chez AHCGT vs 8 % chez SHCGT. À noter une augmentation des Firmicutes dans les SHCGT de 24 à 30 SA (p = 0,009) mais sans différence des sous-taxas.
L’analyse des paramètres cliniques a montré que les changements de HCG n’étaient pas dus à des restrictions caloriques. Les enfants des groupes SHCGT avaient plus de morbidités que les AHCGT : entérocolite ulcéro-nécrosante (p = 0,0006), lésions neurologiques sévères (p = 0,01), sepsis (p = 0,03). Toutefois, les méthodes d’analyse statistique utilisées, comme la forêt d’arbre décisionnels, avec permutations, a montré que les facteurs les plus importants associés aux trajectoires HCG étaient les caractéristiques du MI plutôt que les morbidités associées, que ce soit de 24 à 30 SA ou de 31 à 36 SA (Figure 2). Chez les nourrissons n’ayant pas de morbidités sévères, les différences de Bacteroidota et Lachnospiraceae étaient toujours présentes, mais l’abondance d’Actinobacteriota était significativement plus importante chez les AHCGT et minime SHCGT que chez les SHCGT modéré et sévère.
Le mode d’accouchement a plus d’effet sur les trajectoires HCG que les facteurs influençant le MI comme la nutrition entérale et les traitements antibiotiques. Cela est lié à la transmission du MI au moment de l’accouchement puisque l’abondance de Bacteroidota est plus grande chez les nourrissons nés par voie basse que chez ceux nés par césarienne. Par ailleurs, parmi les nourrissons nés par voie basse, ceux qui avaient une SHCGT avaient une diminution de l’abondance des taxas précédemment décrits comme liés aux trajectoires HCG, par rapport aux AHCGT. En outre, le terme de la naissance est un facteur important puisque tous les nourrissons SHCGT nés par voie basse étaient nés < 27 semaines d’âge gestationnel, alors que seulement 17 % des AHCGT nés par voie basse étaient nés < 27 semaines d’âge gestationnel.
POINT CLÉ
- La colonisation de l’intestin, précocement chez le prématuré, par Bacteroidota et Lachnospiraceae améliorerait le développement neurologique, via certaines voies métaboliques (hydrates de carbone, acides aminés)
QUELLES SONT LES CONSÉQUENCES EN PRATIQUE ?
La SHCGT débuterait donc par une réduction de l’abondance de Bacteroidota et Lachnospiraceae, puis s’aggraverait avec la réduction d’Actinobacteriota.
La naissance par voie basse permet de transmettre par voie verticale Bacteroidota.
Il faudra toutefois être vigilant chez les nouveau- nés nés avant 27 semaines d’âge gestationnel car même ceux nés par voie basse semblent plus à risque de SHCGT. Des études visant à optimiser le MI dès les premiers jours de vie chez les grands prématurés pourraient permettre de confirmer et de préciser ces résultats.
Conclusion
Le microbiote intestinal est un facteur important influençant la trajectoire de croissance du périmètre crânien. La mise en place très précocement de certaines bactéries (Bacteroidota et Lachnospiraceae), favorisée par un accouchement par voie basse, pourrait permettre de réduire les troubles du neurodéveloppement.