Diarrhée et rôle du microbiote
Par la Dr. Sanda Maria Cretoiu
Département de sciences morphologiques, de biologie cellulaire et moléculaire et d’histologie, université de médecine et de pharmacie « Carol Davila » de Bucarest, Roumanie
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A propos de cet article
Les troubles intestinaux peuvent se manifester par des symptômes tels que des selles fréquentes et molles, connus sous le nom de diarrhée. Ce signal envoyé par le système digestif peut se produire pour de nombreuses raisons, notamment des infections, des réactions à certains aliments ou médicaments et des maladies préexistantes - résumées dans l’article cité en [1]. Le microbiote intestinal, à savoir l’ensemble des micro-organismes présents dans l’intestin, est essentiel à la préservation de la santé digestive et au fonctionnement de l’intestin. De récentes études illustrent le lien entre le microbiote et les diarrhées de diverses étiologies. Un microbiote équilibré et diversifié est vital pour le maintien de la santé digestive, l’absorption des nutriments et la régulation du système immunitaire. On assiste actuellement à l’introduction à grande échelle de différentes méthodes de reprogrammation de la communauté microbienne intestinale – prébiotiques, probiotiques et postbiotiques ou encore transplantation de matières fécales – afin de prévenir ou de traiter les diarrhées. La recherche sur la modulation du microbiote offrira bientôt des stratégies concrètes pour la prévention et le traitement des diarrhées. La synthèse qui suit couvre les principales maladies diarrhéiques liées à la dysbiose et certains aspects concernant la gestion du microbiote pour améliorer ces troubles gastro-intestinaux.
La relation entre le microbiote et la diarrhée
La diarrhée peut impliquer différents mécanismes (tableau 1), dont la majorité sont liés au rôle du microbiote :
- Protection de l’équilibre microbien. Cet état, appelé « eubiose », est fondamental pour la santé du corps humain parce qu’il prévient et ralentit l’expansion des agents pathogènes. Une perturbation de l’équilibre entre les principales souches microbiennes, appelée « dysbiose », peut augmenter la sensibilité aux infections et contribuer à la survenue d’un épisode de diarrhée. La littérature indique globalement que la diarrhée traduit une dysbiose majeure et que le degré de dysbiose est lié à l’étiologie et au stade de la diarrhée [6]. Après un épisode de diarrhée aiguë, la taxonomie du microbiote change énormément. Aux premiers stades de la diarrhée, les anaérobies facultatifs à croissance rapide tels que les Proteobacteria (essentiellement Enterobacteriaceae/ Escherichia coli) et les Streptococcus (principalement Streptococcus salivarius et Streptococcus gallolyticus) dominent et favorisent la disparition drastique des bactéries intestinales commensales anaérobies strictes (Blautia, Prevotella, Faecalibacterium, Lachnospiraceae, Ruminococcaceae, etc.) [2, 3]. La conséquence est que la quantité d’acides gras à chaîne courte (AGCC) diminue également et l’intégrité de la barrière intestinale commence à être menacée, faisant peser un risque de perméabilité intestinale. Au cours de la phase de guérison qui suit la diarrhée, un modèle proposé montre qu’en milieu de phase, on observe une abondance de Bacteroides (le 7e jour suivant l’apparition de la maladie). En revanche, en fin de phase, ce sont les Prevotella et les Firmicutes productrices d’AGCC qui dominent [4, 5]
- Protection contre les envahisseurs pathogènes. La communauté microbienne du microbiote intestinal est en compétition pour les ressources disponibles, produit des substances antimicrobiennes et agit comme une barrière contre les entéropathogènes. Les bactéries bénéfiques de l’intestin, telles que certaines souches de Bifidobacteria et Lactobacilli, ont montré des effets positifs sur la diarrhée infectieuse causée par les rotavirus chez le jeune enfant. Cette observation n’a cependant été démontrée dans aucun essai clinique [6].
- Régulation du système immunitaire. Le microbiote intestinal aide à éduquer et à moduler les réponses immunitaires, favorisant la tolérance aux substances inoffensives et assurant une défense contre les agents pathogènes. Un dérèglement de la réponse immunitaire dû à des déséquilibres du microbiote peut contribuer à la survenue d’une inflammation et d’une diarrhée. Après l’utilisation d’antibiotiques tels que la vancomycine pour une diarrhée induite par Clostridioides difficile, on observe une réduction de l’abondance relative des Bacteroidetes et Firmicutes parallèlement à une augmentation des Proteobacteria et Fusobacteria, conduisant à une diminution de l’AGCC propionate et créant les conditions de l’inflammation [7].
- Maintien de la fonction intestinale et du métabolisme. Les bactéries bénéfiques assurent la fermentation des fibres alimentaires pour produire des acides gras à chaîne courte (AGCC) tels qu’acétate, propionate et butyrate. Les AGCC contribuent à maintenir une muqueuse intestinale saine, favorisent l’absorption de l’eau et fournissent une source d’énergie pour les colonocytes. Les déséquilibres entre les souches bactériennes peuvent affecter ces fonctions, entraînant une diarrhée fonctionnelle par diminution de la production d’AGCC. L’augmentation de cette production permet d’améliorer l’absorption des liquides au niveau du côlon [8].
Maladies diarrhéiques et gestion du microbiote
Diarrhée infectieuse
Les infections intestinales d’origine bactérienne, virale ou parasitaire provoquent une diarrhée aiguë et se transmettent souvent par de l’eau contaminée. Dans la plupart des cas, la diarrhée s’améliore en quelques jours, mais les formes sévères peuvent entraîner une déshydratation grave et devenir fatales [9].
Le rotavirus reste la première cause de mortalité associée à la diarrhée chez l’enfant [11], et la prise en charge de cette maladie virale repose généralement sur une hydratation orale ou intraveineuse, adaptée à la sévérité de la déshydratation [12]. Par ailleurs, sur la base des dernières conclusions de l’ESPGHAN (2023) [13], les professionnels de santé pourraient proposer certaines souches probiotiques en cas d’épisodes gastro-entériques aigus chez l’enfant, en reconnaissant leur potentiel (degré de certitude des preuves : faible ; grade de recommandation : faible) pour diminuer la durée de la diarrhée, et/ ou le séjour à l’hôpital, et/ou le volume des selles éliminées.. Néanmoins, un essai contrôlé et randomisé en double aveugle conduit chez des enfants boliviens atteints de diarrhée aiguë à rotavirus a démontré une diminution de la durée de la diarrhée avec l’utilisation d’une solution de réhydratation orale plus un mélange de probiotiques versus une solution de réhydratation simple [11].
Diarrhée du voyageur
Plus de 60 % des adultes des pays développés qui se rendent dans des pays en développement connaissent une diarrhée aiguë, également connue sous le nom de diarrhée du voyageur (DV). Les agents pathogènes les plus fréquemment identifiés dans les épisodes de diarrhée du voyageur sont Escherichia coli, Campylobacter jejuni, et les espèces des genres Salmonella et Shigella. Ainsi, les stratégies thérapeutiques recommandées reposent sur une antibiothérapie par azithromycine ou fluoroquinolones pour les cas modérés à sévères [14]. Cependant, les antibiotiques ne sont pas recommandés pour prévenir la DV en raison de preuves insuffisantes de leur efficacité prophylactique et en partie du fait du risque d’antibiorésistance [15].
Il existe des données contradictoires concernant l’efficacité des probiotiques dans la prévention de la diarrhée du voyageur [16]. Une revue systématique avec méta-analyse a comparé l’efficacité de la rifaximine et des probiotiques dans la prévention de la DV. [14].
Diarrhée associée aux antibiotiques
Les antibiotiques figurent parmi les médicaments les plus prescrits et représentent un traitement efficace pour différentes pathologies infectieuses [17]. L’une des complications associées à l’antibiothérapie est la diarrhée associée aux antibiotiques (DAA), qui survient chez 5 %-35 % des patients suivant ce type de traitement [18]. La DAA peut être définie par au moins trois selles liquides ou molles par jour pendant au moins deux jours consécutifs, strictement en lien avec l’administration d’antibiotiques et sans aucune autre cause [14]. Le risque plus élevé est attribué aux aminopénicillines, aux céphalosporines et à la clindamycine, qui ciblent principalement les anaérobies [19].
L’absence d’agent infectieux identifié dans la DAA peut s’expliquer par l’effet toxique direct des antibiotiques sur la muqueuse intestinale, pouvant causer une diarrhée. En raison de leurs propriétés bénéfiques, les probiotiques sont actuellement étudiés et utilisés dans le traitement et la prophylaxie de la DAA [16, 18].
Diarrhée associée à Clostridioides difficile
Les infections à Clostridioides difficile (CD) sont la cause la plus fréquente de diarrhée nosocomiale associée aux antibiotiques chez l’adulte. Les facteurs de risque sont un âge supérieur à 65 ans, un long séjour en soins intensifs et l’administration d’antibiotiques (fluoroquinolones, clindamycine, céphalosporines et bêta-lactamines en particulier) ou d’inhibiteurs de la pompe à protons.
Au cours d’une antibiothérapie, les anaérobies qui produisent des AGCC peuvent disparaître en raison des altérations induites par les antibiotiques au niveau du microbiote intestinal, qui peuvent également perturber le métabolisme des glucides et de la bile et causer un déséquilibre osmotique. Après la prise d’antibiotiques, les trois barrières intestinales sont touchées : les cellules intestinales épithéliales, la couche de mucus et de peptides antimicrobiens et la couche immunoprotectrice composée de différentes cellules immunitaires et biomolécules (figure 1). Cet événement peut interférer avec la production de mucine, de cytokines et de peptides antimicrobiens, déréglant la fonction intestinale et entraînant d’autres infections voire causant des épisodes d’infections à répétition. L’American Gastroenterological Association recommande sous condition des probiotiques spécifiques pour prévenir les infections à CD chez les personnes sous antibiotiques, en notant que la qualité des preuves est faible [20].
Nouvelles découvertes et avenir de la prise en charge de la diarrhée
Les récentes avancées réalisées dans la recherche sur le microbiote, notamment dans l’analyse métagénomique et la transplantation microbienne, révolutionnent notre approche du traitement de la diarrhée (figure 2).
Il existe des données limitées concernant l’utilisation des prébiotiques et des fibres dans le traitement de la diarrhée (tableau 2). Apparemment, les prébiotiques sont davantage susceptibles de prévenir et de traiter la réapparition des diarrhées. Dans le même temps, les fibres, essentiellement les fibres visqueuses, sont davantage indiquées lors des épisodes aigus en raison de leur capacité à retenir l’eau. D’autres options thérapeutiques impliquent, dans certains cas, l’administration de probiotiques (tableau 3) et, dans les cas sévères, l’utilisation de la transplantation de microbiote fécal (TMF).
Les origines de l’histoire fascinante de la découverte de la TMF remontent à l’époque de la Chine ancienne, lorsque Ge Hong traitait les patients atteints de diarrhée sévère avec une « soupe jaune », constituée d’une suspension fécale. Plus tard, en 1958, le Dr Ben Eiseman a utilisé des lavements provenant de personnes saines pour traiter l’entérocolite pseudomembraneuse. Aujourd’hui, la TMF suscite un intérêt croissant dans le traitement des infections à Clostridioides difficile (ICD) récidivantes, ce qui montre son utilité [22]. Des recherches sont en cours pour évaluer son efficacité dans les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin, le diabète, le cancer, la cirrhose hépatique et les atteintes cérébrales telles que la maladie de Parkinson [23]. L’utilisation de la TMF chez les patients souffrant de diarrhées repose sur l’idée que la flore microbienne saine introduite par cette méthode a la capacité de repousser les agents pathogènes et de restaurer la composition d’un microbiote intestinal sain (figure 3).
Conclusion
Les recherches montrent que la réduction de la diversité du microbiote intestinal est associée à une sensibilité accrue aux diarrhées, ouvrant la voie à des interventions diagnostiques et thérapeutiques potentielles. Le maintien d’un microbiote intestinal équilibré et diversifié prévient les diarrhées et favorise la santé digestive. Les déséquilibres du microbiote, connus sous le nom de « dysbiose », peuvent résulter d’une diarrhée infectieuse aiguë ou d’autres facteurs (utilisation fréquente d’antibiotiques, alimentation déséquilibrée, malabsorption) pouvant contribuer à une diarrhée chronique. La compréhension des interactions complexes entre la composition microbienne et les symptômes cliniques est cruciale pour une prise en charge personnalisée de la diarrhée. Des approches adaptées basées sur les profils microbiens spécifiques peuvent permettre de mettre au point des stratégies ou des interventions plus efficaces. L’introduction des probiotiques et d’une alimentation riche en prébiotiques, la transplantation de microbiote, l’intégration des approches multi-omiques, l’utilisation innovante de l’apprentissage automatique et le développement des collaborations de recherche interdisciplinaires pourraient aider à restaurer l’équilibre microbien et améliorer le bien-être gastro-intestinal. Peut-être sera-t-il possible à l’avenir de concevoir des thérapies basées sur le microbiote, comme l’a suggéré Peter J. Turnbaugh, jetant les bases de nouveaux principes thérapeutiques [25].
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