Rôle de fusobacterium dans le cancer colorectal
Article commenté - rubrique adulte
Par le Pr. Harry Sokol
Gastro-entérologie et nutrition, Hôpital Saint-Antoine, Paris, France
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A propos de cet article
Auteur
Commentaire de l’article original de Bullman et al. (Science 2017)
Les cancers colorectaux comprennent un mélange complexe de cellules malignes, de cellules non transformées et de micro-organismes. Fusobacterium nucleatum est parmi les espèces bactériennes les plus répandues dans les tissus du cancer colorectal (CCR).
Ici, les auteurs démontrent que la colonisation des CCR humains avec Fusobacterium et son microbiome associé (y compris les espèces Bacteroides, Selenomonas et Prevotella) est maintenue dans les métastases distales. Ceci démontre la stabilité du microbiome entre les tumeurs primaires et métastatiques appariées.
L’analyse par hybridation in situ a révélé que Fusobacterium est principalement associé aux cellules cancéreuses dans les lésions métastatiques. Dans des xénogreffes en souris d’adénocarcinomes colorectaux primaires humains, Fusobacterium et son microbiome associé restent viables malgré des passages successifs. Le traitement de souris portant une xénogreffe de cancer du côlon avec l’antibiotique métronidazole réduit la charge de Fusobacterium, la prolifération des cellules cancéreuses et la croissance tumorale globale.
Ces observations plaident pour une étude plus approfondie des interventions antimicrobiennes en tant que traitement potentiel pour les patients atteints d’un CCR associé à Fusobacterium [1].
Que sait-on déjà à ce sujet ?
On sait que le microbiote associé au cancer influence le développement et la progression du cancer, notamment du CCR. Le microbiote des patients atteints de CCR est dysbiotique, et plusieurs études sans a priori ont révélé un enrichissement en F. nucleatum dans le tissu cancéreux et dans les adénomes par rapport aux tissus coliques non cancéreux [2]. Ces observations ont été confirmées dans des études portant sur plusieurs cohortes de patients atteints d’un CCR à travers le monde. Des niveaux élevés de F. nucleatum ont été associés avec une infiltration tumorale moindre en lymphocytes T (alors que l’infiltration en lymphocyte T est un facteur de bon pronostic) [3], avec un stade avancé de la maladie et une plus faible survie des patients. Par ailleurs, les patients atteints de CCR associé à F. nucleatum présentaient souvent une localisation colique droite de leur cancer, une mutation BRAF et une instabilité des microsatellites. Des études reposant sur divers modèles expérimentaux ont suggéré un rôle protumorigène de Fusobacterium, lequel potentialise la croissance tumorale dans des modèles murins de CCR, dans des xénogreffes dérivées de lignées cellulaires de CCR et in vitro sur des lignées cellulaires de CCR. Les mécanismes suggérés vont de l’adhésion et de l’invasion accrues des cellules tumorales à la modulation de la réponse immunitaire de l’hôte, ou à l’activation de la voie du récepteur Toll-like 4. Cependant, certaines études animales ou cellulaires n’ont pas démontré d’effet carcinogène de Fusobacterium [4].
Quels sont les principaux résultats apportés par cette étude ?
Pour explorer le rôle de Fusobacterium et de son microbiote associé dans le CCR, les auteurs ont analysé le microbiote de 5 cohortes indépendantes de patients avec CCR. À partir d’échantillons congelés (11 cas), la recherche de Fusobacterium par culture s’est révélée positive dans plus de 70 % des cas, démontrant que la bactérie est vivante au sein du tissu tumoral. Par ailleurs, lorsque du tissu métastatique était disponible et de bonne qualité, Fusobacterium y était aussi retrouvé par culture. La recherche par méthode moléculaire (qPCR) avait une sensibilité supérieure avec plus de 80 % et plus de 60 % de positivité pour les tissus primitifs et métastatiques respectivement. Les Fusobacterium identifiés dans les tissus métastatiques étaient les mêmes que ceux identifiés dans la lésion primitive. À côté de Fusobacterium, d’autres bactéries suivant le même profil étaient identifiées comme Bacteroides fragilis ou Bacteroides thetaiotaomicron. Mais contrairement à Fusobacterium, les souches identifiées dans les métastases étaient différentes de celles de la lésion primitive. Sur une cohorte de 77 patients, les auteurs ont observé qu’il n’existait pas de lien entre la présence de Fusobacterium par culture et la récidive tumorale. Pour déterminer si la présence de Fusobacterium joue un rôle dans la carcinogenèse ou s’il s’agit seulement d’un témoin du processus cancéreux, les auteurs ont utilisé plusieurs systèmes dont des xénogreffes de cellules tumorales humaines sur souris immunodéficientes. Ils ont observé que les tumeurs positives pour Fusobacterium s’implantaient sans problème chez les souris alors que cela n’était pas le cas pour les tumeurs Fusobacterium négatives. Enfin, un traitement par métronidazole, antibiotique hautement actif contre Fusobacterium, réduisait de manière significative la croissance tumorale (Figure 1).
Point clés
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Fusobacterium est présent sous forme viable dans les tissus primitifs et métastatiques d’une majorité de patients avec CCR.
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Fusobacterium, lorsqu’il est présent, favorise la croissance tumorale.
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En modèle murin, un traitement antibiotique ciblant Fusobacterium réduit de manière significative la croissance des tumeurs positives pour Fusobacterium.
Quelles sont les conséquences en pratique ?
Le traitement des formes métastatiques de CCR reste un problème clinique très important. Ce travail montre que certaines bactéries du microbiote, particulièrement celles appartenant au genre Fusobacterium, persistent de manière viable à la fois dans la tumeur primitive et dans les tissus métastatiques chez une majorité de patients et jouent un rôle dans la progression du CCR. L’utilisation de traitements antimicrobiens ciblant ces bactéries est donc une stratégie à envisager tout en essayant d’être le plus spécifique possible car d’autres bactéries pourraient avoir une fonction protectrice, voire être impliquées dans la réponse aux traitements anticancéreux classiques et aux immunothérapies [5].
Conclusion
Cette étude démontre dans plusieurs cohortes indépendantes que Fusobacterium est présent sous forme viable dans les tissus primitifs et métastatiques d’une fraction majoritaire de patients avec CCR et suggère un rôle favorisant la progression tumorale. Ces observations plaident pour une étude plus approfondie des interventions antimicrobiennes en tant que traitement potentiel pour les patients atteints d’un CCR associé à Fusobacterium.