Microbiote intestinal: enjeux et défis dans la prise en charge des maladies métaboliques
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Par le Pr Jaafar Heikel
Centre Africain de Recherche et d’Études en Santé, Université Mohammed-VI Polytechnique, Maroc
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Du 9 au 11 novembre 2018 s’est tenu le 5e congrès international de nutrition à Hammamet (Tunisie), organisé par l’As- sociation tunisienne des sciences de la nutrition. Cette édition a mis en lumière les liens du microbiote intestinal avec les maladies métaboliques comme le diabète et l’obésité.
Le microbiote : nouvel acteur dans la compréhension des maladies métaboliques
Au même titre que la plupart des pays africains, les pays du Maghreb subissent une triple transition : démographique, épidémiologique et nutritionnelle. En 2018, à l’instar des pays développés, on y meurt davantage de maladies non transmissibles (75 %) que de maladies infectieuses. Le surpoids, l’obésité, le diabète, l’hypertension artérielle y constituent aujourd’hui une problématique de santé publique ; leur prévalence y dépasse respectivement 50 %, 20 %, 10 % et 30 %. Les approches classiques de prise en charge ont montré leurs limites en raison des nombreux déterminants impliqués.
Même si les premiers travaux sur le microbiote intestinal ont été publiés dans les années 1960, ce n’est que depuis une quinzaine d’années que de nouvelles études ont rappelé le rôle qu’il jouait dans l’entretien d’un état inflammatoire chronique, dans l’insulinorésistance ou encore en matière d’obésité, et ce à travers différents mécanismes [1]. Des phénomènes d’endotoxémie métabolique et de translocation bactérienne seraient incriminés et seraient causés par le passage de lipopolysaccharides (LPS) dans la circulation générale.
Qu’il s’agisse de diabète, d’obésité ou en- core de syndrome métabolique, la quantité, la qualité et la diversité du microbiote (particulièrement les phyla Firmicutes, Bacteroidetes et Actinobacteria) expliqueraient un processus en cascade menant à l’augmentation de la perméabilité intestinale (« leaky gut »), la mobilisation de cellules pro-inflammatoires et l’induction de transporteurs cellulaires spécifiques. Les micro-organismes intestinaux joueraient même un rôle d’éducateur immunitaire avec des LPS bactériens, que l’on tolèrerait selon les cas. Les désordres métaboliques, induits par un régime riche en graisses par exemple, seraient évitables par l’inhibition du récepteur au LPS (CD14/Toll-like receptor 4 – TLR-4).
Communication entre bactéries et cellules hôtes : impact sur le métabolisme
Soumises à un régime riche en lipides et pauvre en fibres, les bactéries constituant le microbiote intestinal connaissent des modifications au niveau de leur surface (LPS) qui induisent des réactions immunitaires puis inflammatoires locales. Ce processus augmente la perméabilité intestinale avec translocation de composants inflammatoires vers la circulation sanguine [2]. Des travaux récents soulignent ce rôle des lipides alimentaires dans la dysbiose et dans l’endotoxémie au niveau du microbiote buccal d’abord. En effet, le processus serait initié d’abord à travers une glycoprotéine CD36 (augmentation de la sensibilité au goût du gras) puis renforcé au niveau du microbiote des papilles gustatives (riches en streptocoques), créant ainsi un processus inflammatoire local identique à celui observé au niveau de la paroi intestinale. Par ailleurs, la texture, le type de gras saturé ou polyinsaturé ainsi que l’implication des sels biliaires sont également avancés comme facteurs pouvant expliquer les désordres métaboliques et le risque obésogène.
Le rôle dans l’endotoxémie métabolique de certains phyla bactériens comme les Firmicutes, Bacteroidetes, et Actinobacteria, tant au niveau des travaux sur les souris axéniques qu’au niveau humain, n’est plus à démontrer. En effet, chez la souris, l’administration d’une diète hyperlipidique augmente la concentration en LPS circulants à l’origine des altérations métaboliques liées à l’obésité et l’analyse du microbiote intestinal révèle une diminution significative du nombre de Bifidobacterium spp. et des bactéries intestinales associées aux Bacteroides. Par ailleurs, une association négative a été relevée entre l’endotoxémie et le nombre de bifidobactéries, ces dernières pouvant réduire le taux de LPS et améliorer la fonction de la barrière intestinale [3-5] ; au même titre que l’intégrité de la barrière intestinale, qui est capitale afin d’éviter le passage de composants bactériens provenant de la lumière intestinale vers la circulation sanguine et les tissus de l’hôte.
Quel impact sur la prise en charge des maladies métaboliques ?
Néanmoins, aujourd’hui, l’enjeu réside davantage dans l’identification des bactéries spécifiques afin de proposer aux cliniciens des outils de prévention ou de prise en charge des patients à risque métabolique ou déjà porteurs d’une pathologie métabolique [6-7]. La restauration d’un équilibre de l’écosystème intestinal ou rééquilibrage du microbiote représentent un défi chez les patients qui présentent une dysbiose intestinale, dysbiose déterminée par l’épigénétique, l’environnement, l’alimentation, le mode de vie, les antécédents de traitement antibiotique et l’état de santé de la personne.
Ainsi, les Firmicutes et les Bacteroidetes, qui représentent la majorité de notre microbiote intestinal, impactent le risque de maladies métaboliques selon leur importance. Par ailleurs, de récentes études sur des bactéries spécifiques associées au métabolisme énergétique et glucidique ont été menées en laboratoire. Elles semblent montrer, par exemple, que Akkermansia muciniphila, même pasteurisée, améliore la fonction de la barrière intestinale et l’épaisseur de la couche de mucus, agissant ainsi sur l’insulinorésistance et sur l’obésité. Sa sensibilité à l’oxygène reste un élément qui limite sa culture aujourd’hui et l’étude de son rôle chez l’homme.
D’autres bactéries intestinales, comme Faecalibacterium prausnitzii, ont un rôle bénéfique et permettent d’envisager des stratégies thérapeutiques fondées sur l’utilisation de probiotiques spécifiques. À cela il faut ajouter d’autres éléments que sont les interactions entre hôte, microbiote et cerveau, où les concepts de cortex gustatif, de circuit du plaisir et d’agents microbiens médiateurs de l’obésité prennent une importance particulière.
Les échecs relativement importants dans la prise en charge de l’obésité pourraient trouver une explication potentielle eu égard aux approches qui n’intégraient pas une gestion optimale des états dynamiques que connaît le microbiote intestinal au cours du temps.
Ainsi, l’enjeu actuel serait de mieux comprendre les facteurs « microbiotiques obésogènes ou diabétogènes » afin d’adapter les rôles futurs potentiels d’un plan nutritionnel pauvre en gras et en hydrates de carbone, d’une activité physique adaptée, de supplémentation en probiotiques, prébiotiques, et de l’utilisation de la transplantation fécale. Ces rôles sont à préciser dans une perspective de complémentarité entre ces facteurs et dans une logique d’approche préventive, mais aussi thérapeutique intégrée [8].
Des études de cohortes comprenant suffisamment de sujets devraient permettre de confirmer le rôle déterminant du microbiote intestinal et oral dans la genèse des états inflammatoires transitoires ou chroniques à l’origine des troubles métaboliques – et probablement d’autres états pathologiques comme les cancers ou certains désordres psychiatriques.