La transplantation fécale est-elle au point ?
Retour de congrès
Par le Pr Danny De Looze
Gastro-entérologie, Hôpital universitaire de Gand, Belgique
en_sources_title
en_sources_text_start en_sources_text_end
Chapitres
A propos de cet article
Même si nous n’avons pas encore percé tous les secrets et mystères du microbiote intestinal, le traitement des maladies gastro-intestinales par la modulation du microbiote suscite beaucoup d’espoir. La transplantation de microbiote fécal apparaît comme le Saint Graal. Mais l’est-elle vraiment ? Lors du congrès UEGW 2018 de Vienne, de nombreuses conférences étaient dédiées à ce sujet.
Le donneur idéal
Même si, jusqu’à présent, personne ne sait vraiment comment définir avec précision un microbiote intestinal « normal » (« eubiose »), nous savons qu’une grande diversité microbienne et une richesse génétique sont d’une importance capitale dans l’équilibre hôte-microbiote. Le donneur idéal doit donc être sélectionné d’après sa richesse bactérienne. Un marqueur pour cette propriété a été proposé par Marie Joossen (Louvain, Belgique), qui a souligné que la présence de Blastocystis hominis était corrélée avec une plus grande richesse microbienne [1]. Cette observation – si elle est confirmée par d’autres – pourrait changer notre pratique, qui consiste actuellement à écarter les porteurs de cette espèce commensale des donneurs potentiels. L’enrichisse- ment du microbiote du donneur avec des prébiotiques ou l’utilisation de multiples donneurs pourraient aussi (en théorie) garantir une plus grande diversité initiale des selles à transplanter. Ce phénomène a également été observé par Karakan et al. (Ankara, Turquie), qui ont réalisé un essai ouvert dans la rectocolite hémorragique avec un taux global de réponse complète de 32 %, particulièrement influencé par une importante diversité bactérienne dans la matière fécale donnée.
Le nouvel or brun
Le respect strict des recommandations actuelles en matière de sélection des donneurs de matière fécale impose de rejeter la plupart des donneurs. Terveer et al. (Leyde, Pays-Bas) rapportent que seuls 3,5 % des donneurs potentiels conviennent in fine [2]. Les principales raisons de refus sont les suivantes : âge supérieur à 50 ans, IMC élevé et statut du porteur vis- à-vis des germes non pathogènes (Blastocystis hominis, Dientamoeba fragilis) et des organismes multirésistants (OMR) [2].
Clostridium Difficile
La principale indication de la transplantation de microbiote fécal reste l’infection récidivante à Clostridium difficile. Dans une série rétrospective de 282 patients atteints d’une infection à C. difficile, Ianiro et al. (Rome, Italie) ont comparé traitement antibiotique et transplantation fécale ; ils ont montré que la greffe entraînait un raccourcissement significatif de la durée d’hospitalisation, une diminution significative de la mortalité, en particulier par sepsis.
Antonio Gasbarrini (Rome, Italie) estime que l’heure est venue de promouvoir la transplantation de microbiote fécal en traitement de première ligne dans l’infection à C. difficile.
Élargir la portée de la TMF
A. Gasbarrini a proposé une revue intéressante des indications prometteuses de la transplantation de microbiote fécal. Il a été démontré que les greffes fécales res- taurent davantage le microbiote humain que les probiotiques après une dysbiose induite par antibiotiques chez l’homme. La même observation a été faite après une dysbiose induite par chimiothérapie et antibiotiques dans le cadre d’une greffe de cellules souches hématopoïétiques et chez des patients atteints de cirrhose hépatique. Des modèles murins démontrent même une restauration de la fonction immunitaire et de l’intégrité intestinale après une atteinte intestinale induite par chimiothérapie. A. Gasbarrini plaide donc en faveur d’une conservation préventive des selles en vue d’une transplantation autologue ultérieure de microbiote fécal, par exemple après une antibiothérapie ou une greffe de moelle osseuse. Il faut attendre d’obtenir des preuves in vivo dans le cadre d’essais cliniques avant de pouvoir mettre en œuvre cette stratégie, qui pourrait bien voir le jour à l’avenir. Quoi qu’il en soit, il semble assez logique que la collecte des propres selles du patient en vue d’une transplantation autologue ultérieure soit la voie à suivre.
Rectocolite hémographique
Dans 3 essais randomisés et contrôlés publiés sur 4, la transplantation de microbiote fécal était supérieure au placebo chez des patients atteints de rectocolite hémorragique (RCH) réfractaire [3]. Le taux moyen de rémission observé dans ces études n’était néanmoins que de 25 à 30 %, et Rainer et al. (Graz, Autriche) ont présenté une étude avec des taux similaires de rémission complète, montrant l’absence de valeur ajoutée de l’ad- ministration de selles fraîches chez ces patients. Cependant, il n’existait jusqu’à présent aucun protocole standardisé de transplantation fécale dans la RCH. Des taux de rémission de 30 % semblent faibles, mais il faut mettre les choses en perspective : c’est également le taux de rémission obtenu avec les biomédicaments, très coûteux et largement utilisés [...]. L’importance du microbiote colique dans la RCH a été mise en évidence par Herrera-de Guise et al. (Barcelone, Es- pagne), qui ont montré que les patients en rémission stable prolongée (depuis plus de 5 ans) présentent une abondance de Akkermansia muciniphila et Faecalibacterium prausnitzii similaire à celle observée chez les témoins sains. Ces auteurs suggèrent même que nous devrions réfléchir à un changement de paradigme dans le traitement de la RCH : notre objectif thérapeutique ne devrait peut-être plus être l’immunosuppression, mais plutôt la recherche d’un équilibre du microbiote.
Syndrome de l'intestin irritable
Le syndrome de l’intestin irritable (SII) est assurément la maladie pour laquelle les attentes de guérison par transplantation fécale sont très élevées, à la fois chez les patients et les professionnels de santé. Pourtant, les résultats contradictoires des essais randomisés et contrôlés [4, 5] ne vont actuellement pas dans le sens d’un usage généralisé de ce traitement dans le SII. La dysbiose intestinale est présente dans le SII mais il semble ne pas y avoir de lien de causalité clair entre ces modifications microbiennes et les symptômes. Halkjaer et al. (Copenhague, Danemark) ont réalisé un essai randomisé et contrôlé chez 52 patients adultes ; une augmentation de la biodiversité (comparable à celle des donneurs) a été observée chez les patients du groupe traitement actif [5]. Malheureusement, le groupe placebo a obtenu un résultat clinique significativement meilleur à 3 et 6 mois que celui recevant des capsules fécales [5]. Dans une petite cohorte de 16 patients at- teints du SII, Holster et al. (Orebro, Suède) n’ont pas pu démontrer l’efficacité de la transplantation fécale vs placebo. Ils ont également étudié la sensibilité rectale par barostat et n’ont montré aucune différence entre les groupes actif et témoin, concluant que la modification du microbiote ne contribue pas à l’hypersensibilité viscérale dans le SII.
Gélules de bactéries
Ianiro et al. ont réalisé avec succès un essai en ouvert dans l’infection à C. difficile avec une suspension de microbiote synthétique (10 patients seulement). Khanna et al. (Rochester, États-Unis) ont également démontré l’efficacité d’un produit restaurant le microbiote administré par voie orale, lyophilisé et non congelé (RBX7455) dans la prévention de l’infection récidivante à C. difficile dans un essai ouvert de phase I. Ces résultats sont prometteurs et doivent être confirmés dans des essais randomisés à grande échelle.
Conclusion
Le congrès UEGW 2018 a permis d’en savoir plus sur les critères de sélection des donneurs ainsi que sur les nouvelles indications prometteuses de la transplantation fécale qui pourraient apparaître dans les années à venir. À ce jour, l’infection récidivante à Clostridium difficile reste la seule indication validée de ce traitement, qui n’est pas encore au point dans d’autres affections.
Expliquez ce qu'est la greffe fécale à vos patients grâce à ce contenu dédié: