Le microbiote en temps de pandémie de Covid-19
Synthèse
Par la Pr Conceição Calhau
NOVA Medical School, Université nouvelle de Lisbonne, Portugal
Par le Pr Pedro Povoa
NOVA Medical School, Université nouvelle de Lisbonne, Portugal ; Unité de réanimation polyvalente, Hôpital São Francisco Xavier, CHLO, Lisbonne,Portugal ; Centre d’épidémiologie clinique, OUH Odense, Hôpital universitaire, Danemark
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Chapitres
A propos de cet article
Pour la première fois, la diversité du microbiote intestinal est évoquée comme biomarqueur pronostique de la sévérité de la Covid-19. L’identification des modifications du microbiote en tant que biomarqueurs fiables dans le contexte de la Covid-19 constitue un élément essentiel dans la compréhension de la maladie, soulignant la place prioritaire de la prévention et peut-être de nouvelles stratégies thérapeutiques. En 2020, le nouveau coronavirus a touché sévèrement certains groupes de la population, et plus spécifiquement les sujets âgés ainsi que les personnes obèses, hypertendues et diabétiques [1]. Or, des publications ont montré que la dysbiose était un facteur commun chez tous ces patients [2, 3].
Des signatures bactériennes chez les patients atteints de la Covid-19
Alors que le microbiote intestinal a suscité un grand intérêt au sein de la communauté scientifique avec un rôle pivot dans les fonctions immunitaires et inflammatoires de l’hôte, nous avons cherché à déterminer si des modifications de la composition du microbiote intestinal étaient associées à une plus grande sévérité clinique de la Covid-19 [4]. Une étude transversale multicentrique nationale a été conduite chez 115 patients atteints de Covid-19 catégorisés en fonction des facteurs suivants : 1) lieu du rétablissement de la Covid-19 : ambulatoire (isolement au domicile), service hospitalier (chambre isolée) ou réanimation ; et 2) échelle de sévérité de la Covid-19 asymptomatique/forme légère à modérée ou sévère. Les patients atteints d’une forme sévère présentaient des modifications importantes de la composition du microbiote intestinal par rapport aux patients ayant une forme légère à modérée en ambulatoire ou admis en service hospitalier (Figure 1). Ces modifications comprenaient : 1) une plus faible diversité microbienne intestinale globale ; 2) une plus faible abondance de bactéries productrices de butyrate telles que celles appartenant aux genres Roseburia et Lachnospira ; 3) un ratio Firmicutes/Bacteroidetes plus faible ; 4) une plus forte abondance de protéobactéries. De plus, nous avons détecté le virus dans des échantillons fécaux, ce qui doit être pris en compte dans les recommandations de santé publique [5, 6]. Les publications d’autres équipes ont montré qu’une faible diversité pouvait constituer un biomarqueur clinique prédictif d’un risque accru de sévérité [7-9].
Le microbiote respiratoire chez les patients dans un état critique
À l’origine, les poumons sains étaient considérés comme stériles. Toutefois, au cours de la dernière décennie, l’application des techniques de recherche sur le microbiote a clairement prouvé le contraire. Les poumons sont colonisés par une charge bactérienne très faible par rapport à l’intestin [10]. Les différentes parties de l’appareil respiratoire (oropharynx, voies aériennes, poumons) présentent une diversité et des compositions différentes liées aux sources de colonisation, aux taux de colonisation, aux taux d’extinction et aux distances les séparant les unes des autres, d’après le modèle insulaire adapté où le « continent » est la cavité buccale [11]. De récentes études conduites chez des patients atteints d’une forme sévère de Covid-19 ont montré une dysbiose du microbiote des voies aériennes (analysé dans des échantillons de liquide de LBA) similaire à la dysbiose observée lors d’infections des voies respiratoires inférieures comme la pneumonie [12, 13]. En outre, Acinetobacter – un bacille pathogène à Gram négatif non fermentaire commun dans la pneumonie acquise sous ventilation mécanique, l’infection acquise en réanimation la plus sévère chez les patients sous ventilation mécanique invasive – était un genre bactérien fréquemment rencontré dans les tissus pulmonaires de patients décédés [14]. La présence de certains pathogènes dans les poumons des patients décédés et dans la cavité buccale est liée à la migration dans le modèle insulaire adapté. [15] Dans le contexte du dérèglement immunitaire associé à la Covid-19, plusieurs études épidémiologiques ont révélé un risque accru d’infections nosocomiales, et notamment de pneumonie acquise sous ventilation mécanique comme notre groupe l’a montré. Dans notre étude, nous avons observé que les patients atteints de Covid-19 avaient deux fois plus de risques de présenter une pneumonie acquise sous ventilation mécanique que les patients non-Covid-19 [16].
Conclusion
Les études sur le microbiote et la Covid-19 pourraient ouvrir de nouvelles perspectives pour le développement d’interventions thérapeutiques (probiotiques, prébiotiques…) visant à corriger la dysbiose observée dans les formes sévères de Covid-19. Ces interventions devraient permettre d’augmenter la diversité bactérienne globale et l’abondance des bactéries commensales, contribuant ainsi à inhiber la prolifération de pathogènes opportunistes. Ces études pourraient également avoir des implications dans la conception de vaccins efficaces contre la Covid-19, dans la mesure où le microbiote intestinal pourrait constituer un facteur influant sur l’efficacité vaccinale.