Des souches de Clostridiales commensales sont impliquées dans la réponse immunitaire anti-cancéreuse contre les tumeurs solides
Article commenté - Rubrique Adulte
Par le Pr Harry Sokol
Gastro-entérologie et nutrition, Hôpital Saint-Antoine, Paris, France
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A propos de cet article
Auteur
Commentaire de l'article de Montalban-Arques et al. Cell Host & Microbe 2021 [1]
En dépit de leur succès général, les inhibiteurs des points de contrôle des cellules T pour le traitement du cancer (immunothérapie anticancéreuse) ne sont encore efficaces que chez une minorité de patients. Récemment, il a été découvert que le microbiote intestinal modulait de manière critique l’immunité anticancéreuse et la réponse au traitement. Ici, les auteurs ont identifié les membres de l’ordre des Clostridiales du microbiote intestinal comme associés à une charge tumorale plus faible dans les modèles murins de cancer colorectal (CCR). De manière intéressante, ces espèces commensales étaient également significativement réduites chez les patients atteints de CCR par rapport aux témoins sains. L’administration par gavage gastrique d’un mélange de quatre souches de Clostridiales (CC4) chez la souris a permis de prévenir et même de traiter avec succès le CCR en tant que thérapie autonom e. Cet effet dépendait de l’infiltration intratumorale et de l’activation des cellules T CD8+. L’administration d’une souche unique de Roseburia intestinalis ou d’Anaerostipes caccae était encore plus efficace que le CC4. Dans une comparaison directe, la supplémentation en mélange CC4 a surpassé la thérapie anti-PD-1 dans des modèles murins de CCR et de mélanome. Ces résultats fournissent une base préclinique solide pour explorer les bactéries intestinales comme nouvelle thérapie autonome contre les tumeurs solides.
Que sait-on sur déjà à ce sujet ?
Le microbiote intestinal joue un rôle majeur dans le développement du système immunitaire et le maintien de l’homéostasie immunitaire. Le microbiote intestinal n’influence pas seulement le système immunitaire au niveau local mais aussi au niveau systémique, en maintenant une réponse immunitaire équilibrée. Comme pour un large éventail de maladies telles que l’obésité, les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin, les troubles neuropsychiatriques et le cancer colorectal (CCR), une perturbation de l’équilibre microbien, dysbiose, a été impliquée.
Une des affections malignes les plus fréquemment diagnostiquées, le CCR, reste la principale cause de décès liée au cancer dans le monde avec des facteurs de risque associés au mode de vie (alimentation, tabac, alcool) ou l’obésité… Or tous ces facteurs sont étroitement liés à des modifications de la composition du microbiote intestinal sain.
Les patients atteints de CCR présentent un microbiote intestinal altéré avec une augmentation de certains taxons tels que Bacteroides ou Fusobacterium [2] ainsi qu’une réduction des taxons bactériens appartenant à l’ordre des Clostridiales par rapport aux individus sains [3]. La grande majorité des tumeurs colorectales ont une faible immunogénicité et, par conséquent, ne répondent pas aux immunothérapies actuelles d’activation des cellules T. En effet, les anticorps monoclonaux anti-PD-1, anti PD-L1 et/ou anti-CTLA4 ne sont efficaces que dans ces 4 à 5 % des tumeurs du CCR, qui présentent un défaut de réparation des mésappariements ou une instabilité des microsatellites élevée [4]. Des études récentes ont montré comment certains membres du microbiote intestinal sont capables de moduler l’efficacité des traitements anticancéreux [5, 6]. Dans la présente étude, les auteurs ont cherché à évaluer si un cocktail de 4 souches bactériennes, spécifiquement associé à une faible charge tumorale dans un modèle expérimental de CCR, pourrait déclencher une réponse immunitaire antitumorale efficace.
Points Clés
- Les bactéries de l’ordre des Clostridiales sont associées à une faible charge tumorale dans les modèles de cancer du côlon chez la souris
- L’abondance de certaines bactéries de l’ordre des Clostridiales est diminuée chez les patients atteints de cancer colorectal
- Un mélange de 4 souches de Clostridiales a un effet antitumoral puissant via les cellules T CD8+
- Le traitement par Clostridiales est efficace dans des modèles de tumeurs solides chez la souris, indépendamment d’une immunothérapie anticancéreuse par anti-PD-1
Quels sont les principaux résultats apportés par cette étude ?
En partant de modèles animaux, les auteurs ont observé que les souris ayant un microbiote pauvre en bactéries de l’ordre des Clostridiales (familles des Ruminococcaceae et Lachnospiraceae) avaient une susceptibilité accrue au CCR. Sur la base de ces analyses, les auteurs ont sélectionné un mélange de quatre espèces de Clostridiales (CC4), à savoir Roseburia intestinalis, Eubacterium hallii (Anaerobutyricum hallii), Faecalibacterium prausnitzii et Anaerostipes caccae, dont l’abondance est diminuée chez les patients avec CCR, pour des études plus poussées sur des modèles murins. L’administration de CC4 avait un effet sur le microbiote des souris avec notamment une augmentation des espèces appartenant aux familles des Ruminococcaceae et Lachnospiraceae.
Dans plusieurs modèles de cancer solide, incluant CCR, poumon et sein, l’administration de CC4 avait pour effet de ralentir la croissance tumorale. Ce bénéfice était en grande partie médié par les lymphocytes car il disparaissait chez des souris dépourvues de lymphocytes matures (souris Rag2 KO). Les principaux candidats sont les lymphocytes T CD8+ cytotoxiques producteurs d’interféron gamma qui infiltrent massivement la tumeur chez les animaux recevant CC4. L’effet protecteur était aussi observé avec chacune des souches bactériennes individuellement et testé dans un modèle de CCR, mais avec un degré d’efficacité variable (Figure 1). L’effet thérapeutique n’était pas lié à la production de butyrate par les bactéries.
Enfin, dans le modèle de CCR (MC-38), le cocktail CC4 avait un effet supérieur à l’immunothérapie par anti-PD-1. Par ailleurs, aucun effet additif n’était observé chez les souris ayant reçu l’immunothérapie et les 4 bactéries.
Quelles sont les conséquences en pratique ?
Cette étude montre que, à côté d’un rôle adjuvant dans le traitement des cancers par immunothérapie, certaines bactéries du microbiote ont un effet anticancéreux propre dans des modèles de tumeurs solides chez la souris. Ces résultats ouvrent la possibilité de développer, chez l’homme, des traitements anticancéreux basés sur le microbiote intestinal. Leur utilisation pourra ainsi s’envisager seule ou en association avec d’autres traitements anticancéreux « conventionnels ». Il reste à déterminer les groupes de patients qui bénéficieront le plus de ce type d’approche thérapeutique.
Conclusion
Cette étude chez la souris montre que des souches bactériennes de l’ordre des Clostridiales, qui sont significativement réduites chez les patients atteints de cancer colorectal, sont efficaces pour stimuler une réponse anticancéreuse visà- vis des tumeurs solides. Les mécanismes passent par l’activation des cellules T CD8+, et sont indépendants de l’immunothérapie anti-PD-1.