Gut Microbiota For Health World Summit 2020
Retour de congrès
Par le Pr. Kristin Verbeke
Laboratoire Digestion et Absorption, Centre de recherche translationnelle sur les troubles gastro-intestinaux (TARGID), Département de médecine clinique et expérimentale, Louvain, Belgique
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A propos de cet article
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C’est dans des circonstances exceptionnelles en raison de l’épidémie de Covid-19 que le Gut Microbiota for Health World Summit de cette année s’est tenu à Madrid. Dans la mesure où de nombreux participants n’ont pas pu assister physiquement à l’événement, ce retour de congrès est un peu plus approfondi que ceux habituellement présentés dans cette Newsletter.
La 9e édition de ce congrès a abordé différents aspects du microbiote, notamment les facteurs alimentaires et non alimentaires qui façonnent le microbiote intestinal ainsi que le rôle du microbiote intestinal dans la fonction cérébrale et la modulation du système immunitaire. Lors d’une conférence inaugurale, Colin Hill (Cork, Irlande) a évoqué les obstacles à la traduction clinique de la recherche sur le microbiote. Il a appelé à adopter les définitions des consensus et à utiliser un langage précis. L’objectif est une approche plus rigoureuse, davantage basée sur la quantification exacte de bactéries plutôt que sur des proportions et des abondances relatives. Pour cela, il faut prendre en compte la complexité liée à l’individualité du microbiote et maîtriser celle des chiffres afin de ne pas noyer le lecteur.
Il a également fait remarquer que le choix de la méthodologie, notamment entre méthodes biologiques et in silico, affecte significativement les résultats.
Par exemple, le microbiote fécal n’est qu’une approximation très vague du microbiote intestinal, la durée du transit intestinal affecte la composition du microbiote et le passage d’une méthode in silico à une méthode in vivo n’est pas toujours simple. La recherche sur le microbiote devrait être une science appliquant des normes strictes plutôt qu’un système de croyances.
Les facteurs alimentaires qui façonnent le microbiote intestinal
Des études transversales antérieures indiquaient déjà que la composition du microbiote fécal dépendait du régime alimentaire. En effet, les personnes qui suivent un régime alimentaire à base de plantes ont un microbiote plus diversifié, avec une proportion plus importante de bactéries productrices d’acides gras à chaîne courte (AGCC) que les personnes qui ont une alimentation occidentale riche en glucides raffinés et en graisses. Le passage d’une alimentation américaine standard à une alimentation végétale a modifié le microbiote de sujets obèses et considérablement amélioré leurs paramètres métaboliques, comme l’a indiqué Hana Kahleova (Washington DC, États- Unis). Les participants qui sont passés à une alimentation végétale pendant 16 semaines ont perdu 5,8 kg, dont environ deux tiers de graisses, et leur sensibilité à l’insuline était améliorée rapport au groupe témoin qui n’a pas adapté son régime alimentaire. Les taux fécaux de Bacteroidetes et de Faecalibacterium prausnitzii ont augmenté avec l’alimentation végétale, alors que les espèces Bacteroides fragilis ont diminué avec les deux régimes, mais dans une moindre mesure avec l’alimentation végétale. En outre, les modifications de la composition bactérienne étaient corrélées aux modifications des paramètres métaboliques.
Interactions microbiote-médicaments
Comme l’a souligné Rinse K. Weersma (Groningue, Pays-Bas), les médicaments interagissent avec le microbiote intestinal de différentes manières. Certains médicaments, comme les inhibiteurs de la pompe à protons (IPP) affectent la composition et la fonction du microbiote. L’augmentation locale du pH intestinal provoquée par la prise d’IPP entraîne une « oralisation » du microbiote intestinal du fait de la pénétration des bactéries d’origine buccale plus en profondeur dans le tractus gastro-intestinal. La metformine, un antidiabétique oral, affecte également la composition du microbiote intestinal avec un nombre accru d’Akkermansia muciniphila et une plus grande production d’AGCC, ce qui contribue à son effet antihyperglycémiant. Les immunothérapies n’ont pas directement d’impact sur le microbiote, mais comme celui-ci est impliqué dans l’homéostasie immunitaire, il détermine indirectement la réponse à ces médicaments anticancéreux. De plus, le microbiote modifie également l’activité de certains médicaments en les activant ou en les inactivant, ou alors en influençant leur toxicité. Par exemple, la transformation de la lévodopa par le microbiote intestinal réduit sa biodisponibilité pour le cerveau, ce qui pourrait en partie expliquer la variabilité des réponses des patients à ce médicament. Pour être actif, le promédicament sulfasalazine doit être clivé par azo-réduction bactérienne dans le côlon en 5-ASA et en sulfapyridine, alors que la digoxine, un glucoside cardiotonique, est inactivée par métabolisme microbien. Pour finir, la transformation par le microbiote intestinal de l’antiviral oral brivudine en bromovinyluracile joue un rôle dans la toxicité de ce médicament.
Athanasios Typas (Heidelberg, Allemagne) a souligné l’effet majeur des médicaments non antibiotiques sur le microbiote. Un criblage in vitro de 1 200 médicaments commercialisés visà- vis de 40 souches bactériennes intestinales représentatives a montré qu’au moins un quart des médicaments non antibiotiques ayant pour cible des cellules humaines inhibaient au moins une souche [1]. Cette inhibition in vitro se reflétait dans les effets secondaires de ces médicaments chez l’homme et concordait avec les essais cliniques existants, ce qui montre la pertinence de cette stratégie de criblage. Il est intéressant de noter qu’il existait un chevauchement important au niveau de la sensibilité des souches bactériennes intestinales aux médicaments ciblant des cellules humaines et aux antibiotiques, ce qui a été attribué au fait que les mêmes pompes, transporteurs et mécanismes de détoxification sont utilisés pour les deux groupes de médicaments. Ces résultats suggèrent que la polymédication pourrait constituer un facteur important de résistance aux antibiotiques.
Le rôle du microbiote intestinal dans l'axe intestin-cerveau
Ces 30 dernières années, le traitement des maladies mentales a très peu progressé. John Cryan (Cork, Irlande) a expliqué que le microbiote intestinal pourrait constituer une nouvelle cible pour améliorer la santé mentale, même si ce domaine n’en est qu’à ses balbutiements, car le microbiote intestinal affecte la santé mentale à différents stades de la vie. Le mode d’accouchement, qui a des conséquences sur le microbiote intestinal, a été associé à des troubles neurodéveloppementaux [2]. Les souris nées par césarienne présentent une réponse accrue au stress, une plus grande anxiété et des déficiences en matière de sociabilité. Ces effets peuvent être inversés en agissant sur le microbiote intestinal. Le fait que les souris axéniques présentent également un développement cérébral inapproprié, notamment avec des déficiences au niveau de la mémoire de la peur, une augmentation des douleurs viscérales et des déficiences sociales, confirme le rôle du microbiote gastro-intestinal. De plus, au début de l’adolescence, le cerveau est sensible aux signaux microbiens. Les souris ayant reçu une alimentation riche en graisses pendant l’adolescence présentaient des différences durables en termes de composition du microbiote intestinal à l’âge adulte, ainsi que des différences au niveau de l’expression de gènes en lien avec la neuro-inflammation ou la neurotransmission, même si aucun trouble du comportement avéré n’a été observé à l’âge adulte [3]. Chez des souris mâles âgées, des modifications du microbiote pour adopter un profil précédemment associé à des maladies inflammatoires ont été corrélées avec une plus grande perméabilité intestinale, une inflammation périphérique et des troubles du comportement, notamment des déficiences au niveau de la mémoire spatiale et un comportement plus anxieux.
Souvent appelée « hormone du bonheur », la sérotonine a en fait une fonction biologique beaucoup plus complexe. Elle est en effet impliquée dans la densité osseuse ainsi que dans les fonctions neuronale, plaquettaire et gastro-intestinale, ce qui en fait une option intéressante pour améliorer la santé. La sérotonine est produite en majeure partie dans les tissus gastro-intestinaux. Jonathan Lynch (Los Angeles, États-Unis) a indiqué que le microbiote intestinal joue un rôle essentiel dans la régulation de la production de sérotonine par l’hôte. En particulier, les bactéries sporulées indigènes stimulent la biosynthèse de sérotonine par la production de métabolites solubles qui transmettent directement les signaux aux cellules coliques. Cette induction de sérotonine médiée par les bactéries régule la motilité gastro-intestinale et la fonction plaquettaire chez la souris [4]. En outre, les concentrations de sérotonine dans la lumière intestinale modulent également la colonisation bactérienne dans l’intestin. L’abondance relative des bactéries sporulées, en particulier de Turicibacter sanguinis, augmente quand les taux de sérotonine dans la lumière intestinale sont élevés. T. sanguinis exprime un récepteur homologue au SERT (transporteur de la sérotonine des mammifères) qui permet d’importer la sérotonine, entraînant l’expression de facteurs de sporulation et de transporteurs membranaires. Ces effets sont inversés par l’exposition à la fluoxétine, un inhibiteur de la recapture de la sérotonine.
Microbiote intestinal et système immunitaire
À la naissance, les nouveau-nés acquièrent des micro-organismes par transmission verticale de leur mère. Cette colonisation postnatale serait le principal stimulus pour le développement et la maturation du système immunitaire. À l’aide d’un modèle de colonisation transitoire de souris gravides, Kathy McCoy (Calgary, Canada) a démontré que, déjà pendant la gestation, le microbiote intestinal de la mère façonne la fonction du système immunitaire des petits. Les souriceaux axéniques nés de mères colonisées de manière transitoire présentaient des taux plus élevés de cellules de l’immunité innée dans l’intestin et une expression accrue de gènes codant pour les peptides antibactériens épithéliaux et le métabolisme des molécules microbiennes par rapport aux petits nés de mères axéniques [5]. Cette éducation du système immunitaire médiée par le microbiote intestinal maternel repose sur les anticorps de la mère transmis aux petits pendant la gestation et par l’intermédiaire du lait. De plus, le microbiote intestinal de la mère protège les petits d’une inflammation excessive. L’administration de lipopolysaccharides (LPS) a déclenché une réponse inflammatoire très importante chez les petits nés de mères axéniques, alors que cette réponse était atténuée chez les petits de mères colonisées.
La période comprise entre la naissance et le sevrage, c’est-à-dire au moment de l’introduction d’une alimentation plus diversifiée, est importante pour l’ontogenèse du système immunitaire, comme l’a souligné Gérard Eberl (Paris, France). L’expansion du microbiote intestinal qui se produit lors du sevrage induit une réponse immunitaire forte associée à l’induction des lymphocytes T régulateurs [6]. L’exposition de souris axéniques aux micro-organismes avant le sevrage entraîne cette réaction immunitaire (normale), alors qu’aucune réaction ne se produit quand les souris ne sont exposées aux micro-organismes qu’après le sevrage, ce qui indique que le système immunitaire doit être exposé aux micro-organismes dans une fenêtre de temps spécifique.
Conclusion
L’empreinte pathologique générée a entraîné plus tard une susceptibilité accrue aux pathologies immunitaires. Le fonctionnement de la mémoire du système immunitaire doit encore être éclairci. Des données dans la littérature suggèrent une régulation épigénétique des gènes immunitaires et l’empreinte de l’expression des gènes dans les cellules myéloïdes ou stromales. L’hypothèse la plus probable est qu’une empreinte soit retrouvée dans de nombreuses cellules différentes, mais la signification de ce phénomène doit encore être analysée.