Métagénomique du virome fécal : effet cumulatif de la quantité de gluten et des entérovirus sur le risque d'auto-immunité de la maladie coeliaque chez des enfants prédisposés - l'étude Teddy
Article commenté - Rubrique enfant
Par le Pr. Emmanuel Mas
Gastro-entérologie et nutrition, Hôpital des Enfants, Toulouse, France
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Chapitres
A propos de cet article
Commentaire de l’article original de Lindfors et al. (Gut 2019) [1]
Une consommation de gluten plus élevée, de fréquentes infections gastrointestinales et les adénovirus, entérovirus, rotavirus et réovirus ont été suggérés comme déclencheurs environnementaux de la maladie coeliaque (MC). Cependant, le lien entre la quantité de gluten ingérée et les expositions virales dans le développement de la maladie reste inconnu. Le but de cette étude était de savoir si des expositions virales distinctes, seules ou associées au gluten, augmentaient le risque d’auto-immunité de la MC chez les enfants génétiquement prédisposés. Elle conclut que l’exposition fréquente à des entérovirus entre 1 et 2 ans est effectivement associée à un risque accru d’auto-immunité de MC, l’effet cumulatif de l’interaction entre les entérovirus et une consommation de gluten plus élevée étant en cause.
Que sait-on déjà à ce sujet ?
La maladie coeliaque est une pathologie auto-immune qui survient chez des personnes génétiquement prédisposées de génotype HLA DQ2 et/ou DQ8 positif. Elle est caractérisée par la présence d’une atrophie villositaire et d’une infiltration lymphocytaire au niveau de l’épithélium de l’intestin grêle. Le gluten présent dans l’alimentation induit une réponse auto-immune dirigée contre la transglutaminase tissulaire. L’apparition d’anticorps anti-transglutaminase (TG) définit l’auto-immunité de la maladie coeliaque.
L’augmentation de l’incidence des maladies auto-immunes fait suspecter le rôle de facteurs environnementaux dans leur pathogénèse. Des études observationnelles suggèrent que des infections virales pourraient induire une rupture de la tolérance orale du gluten et le développement de la maladie coeliaque.
Quels sont les principaux résultats apportés par cette étude ?
Il s’agit d’une étude cas-contrôle nichée dans la cohorte de naissance TEDDY (The Environmental Determinants of Diabetes in the Young) qui a inclus 8 676 enfants avant l’âge de 4 mois et demi avec un suivi de 15 ans. L’objectif principal de cette cohorte est d’identifier les facteurs génétiques et environnementaux associés au diabète de type 1 et à la maladie coeliaque. Après appariement en fonction des antécédents familiaux de diabète de type 1, sexe et site d’inclusion dans l’étude, 83 paires (enfants avec prédisposition et cas contrôle) ont été retenues dans l’analyse finale pour lesquelles les données du virome fécal étaient disponibles après introduction du gluten. Parmi ces paires, 16 avaient des antécédents familiaux de diabète de type 1. Lors du suivi, 28 des cas d’auto-immunité de maladie coeliaque ont développé la maladie.
De 3 mois à 2 ans, des échantillons de selles ont été recueillis tous les mois ; une recherche d’entérovirus, adénovirus, astrovirus, norovirus, réovirus et rotavirus a été effectuée. Tous les 3 mois, un questionnaire alimentaire était adressé pour recueillir les informations sur l’allaitement maternel et l’âge d’introduction des aliments contenant du gluten. Un relevé alimentaire sur 3 jours a permis de calculer les quantités de gluten ingérées à 6, 9, 12, 18 et 24 mois.
Le pourcentage d’échantillons de selles positives pour n’importe quel virus variait de 22 à 50 %, sans pic lié à l’âge, et celui des entérovirus de 0 à 21 % après 6 mois. Entre 1 et 2 ans, des entérovirus ont été détectés chez 31 cas vs 16 contrôles (Tableau 1). Le nombre cumulé d’échantillons de selles positifs pour n’importe quel virus était associé à un risque augmenté d’auto-immunité de maladie coeliaque (OR 1,60 ; p = 0,01), avec une association la plus forte pour les entérovirus (OR 2,56 ; p = 0,02).
Le risque d’auto-immunité de maladie coeliaque n’était pas augmenté par les infections virales survenant après l’âge d’introduction du gluten lorsque l’allaitement maternel était poursuivi. En revanche, après sevrage de l’allaitement maternel, sur les échantillons de selles recueillis entre 1 et 2 ans alors que le gluten avait été introduit, il existait une association entre le nombre cumulé de virus retrouvés (OR 1,41 ; p = 0,05) ainsi que d’entérovirus retrouvés (OR 2,47 ; p = 0,03) et le risque d’auto-immunité de maladie coeliaque. Il y avait une interaction significative entre la présence d’entérovirus retrouvés entre 1 et 2 ans et la quantité ingérée de gluten jusqu’à 2 ans sur le risque d’auto-immunité de maladie coeliaque (p = 0,03). Ce risque augmentait avec la quantité de gluten ingérée : élevée (OR 8,3), moyenne (OR 2,9) et faible (OR 1,0) (Figure 1).
Points clés
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Les facteurs environnementaux jouent un rôle dans la maladie cœliaque
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L’exposition aux entérovirus est un facteur de risque de développer des anticorps anti-transglutaminases chez des enfants HLA DQ2 et/ou DQ8 positifs
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Ce risque est potentialisé par des apports importants en gluten dans l’alimentation
En pratique, quelles conséquences ?
Les résultats de cette étude ont un intérêt pour prévenir l’apparition d’auto-anticorps de la maladie coeliaque chez des enfants à risque. Pour cela, il faudrait faire attention aux quantités de gluten ingérées, notamment en cas d’exposition aux entérovirus, surtout lorsque l’enfant n’est plus sous allaitement maternel.
Conclusion
Cette étude a montré qu’il existait une association entre les expositions digestives à entérovirus et le risque d’autoimmunité de maladie coeliaque chez des enfants génétiquement prédisposés. Ce risque est majoré par la quantité de gluten ingérée.