Une alimentation riche en fibres atténue le dysfonctionnement cognitif et social induit par l'obesité maternelle chez la descendance via l'axe intestin-cerveau
Article commenté - Rubrique enfant
Par le Pr Emmanuel Mas
Gastro-entérologie et nutrition, Hôpital des enfants, Toulouse, France
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Chapitres
A propos de cet article
Commentaire de l'article original de Liu et al. (Cell Metabolism 2021) [1]
Les troubles du développement de l’enfant semblent avoir un lien avec l’obésité maternelle. Cependant, les mécanismes sous-jacents et les mesures à mettre en oeuvre ne sont toujours pas clairement identifiés. Cette étude transversale portant sur 778 enfants chinois âgés de 7 à 14 ans indique que l’obésit é maternelle est fortement corrélée à une cognition et une socialisation moindres chez les enfants. En outre, il a été démontré chez la souris que l’obésité maternelle perturbait à la fois le comportement et le microbiote intestinal de la descendance. Ces deux phénomènes qui sont rétablis par un régime riche en fibres chez la mère ou l’enfant, atténuent les altérations synaptiques et les défauts de maturation microgliale. Des expériences de transplantation de microbiote fécal (FMT) ont révélé une relation causale entre le microbiote et les changements comportementaux. De plus, le traitement avec des acides gras à chaîne courte dérivés du microbiote a également atténué les déficits comportementaux dans la descendance de souris obèses. Cette étude indique que l’axe microbiote-métabolites-cerveau peut sous-tendre les dysfonctionnements cognitifs et sociaux induits par l’obésité maternelle et qu’un apport élevé en fibres alimentaires pourrait constituer une intervention prometteuse.
Que sait-on déjà à ce sujet ?
L’obésité augmente chez les femmes en âge de procréer, ce qui entraîne un risque plus élevé de développer, chez la descendance, un diabète, une hypertension et des modifications comportementales. Des études nationales ont montré que ces enfants avaient un risque accru d’avoir des capacités intellectuelles inférieures et des troubles du spectre autistique. Ce déficit intellectuel a été reproduit chez des souris lorsque les mères étaient alimentées avec un régime riche en graisses (maternal highfat diet - mHFD). Le microbiote intestinal est influencé par le régime alimentaire et par l’obésité maternelle. En outre, il existe des données qui ont identifié un lien entre le microbiote intestinal et les fonctions cérébrales. Une alimentation riche en fibres favorise la production d’acides gras à chaînes courtes (AGCC) qui pourraient être des métabolites de cet axe intestin-cerveau.
Quels sont les principaux résultats apportés par cette étude ?
Les auteurs ont tout d’abord inclus 778 enfants âgés de 7-14 ans dont 79 mères étaient obèses ou en surpoids. Les enfants de ces mères obèses ou en surpoids avaient des capacités sociales et d’apprentissage plus faibles (p < 0,05), plus marquées chez les garçons que chez les filles.
Chez la souris, lorsque les mères avaient un régime mHFD pendant 12 semaines, la descendance avait une altération de la mémoire et des interactions sociales, en comparaison à une alimentation contrôle (mCD) (p < 0,01). L’utilisation de 4 types de régime chez la mère, mCD, mHFD, mFFD (riche en graisses et riche en fibres) et mFD (riche en fibres), pendant 12 semaines, a permis de montrer qu’une alimentation maternelle riche en fibres (mFFD et mFD) corrigeait ces altérations de la mémoire et des interactions sociales de la descendance (p < 0,01). Cela est associé au niveau de l’hippocampe à une densité post-synaptique plus importante dans la descendance mFFD que mHFD (p < 0,05), et à des différences d’expression géniques de la microglie dans l’hippocampe et le cortex préfrontal.
Cet effet d’une alimentation riche en fibres est associé à une modification de la composition du microbiote intestinal en analyse par séquençage 16S. L’analyse des OTUs (operational taxonomic units) a identifié 21 taxa bactériens qui différaient entre mHFD et mFFD dont 9 appartenaient à la famille S24-7, avec augmentation sous régime mFFD (Figure 1) ; l’abondance de 5 d’entre eux était corrélée positivement au déficit comportemental cognitif et social (p < 0,05). Le régime riche en fibres a corrigé la baisse dans les selles de la descendance en propionate et acétate, mais pas en butyrate (p < 0,01).
Grâce à une analyse de transplantation fécale (FMT), les auteurs ont montré que cet effet du régime riche en fibres était transmis par le microbiote intestinal maternel. D’une part, la transplantation de selles de mères mHFD altérait le comportement cognitif et social à la descendance, ce qui était corrigé par un régime riche en fibres ; d’autre part, le croisement de la descendance entre mHFDFMT et mFFDFMT induisait une altération comportementale dans la descendance de mères mFFDFMT élevée par des mères mHFDFMT, et une amélioration comportementale dans la descendance de mères mHFDFMT élevée par des mères mFFDFMT (Figure 2), effet lié au transfert de microbiote par coprophagie.
L’ajout de fibres dans l’alimentation de la descendance de souris mHFD a corrigé les altérations comportementales et sociales. Ces nouveau-nés mHFD-oFD (o = offspring, descendance, recevant une alimentation riche en fibres – FD) avaient aussi une augmentation des taux de S24-7. Les échantillons de selles de mHFD-oCD étaient riches en Bacteroides et pauvres en Ruminococcus, et inversement chez ceux de mHF-oFD (Figure 3). Cela était également associé à des différences de comportement cognitif et social. Comme chez les mères, l’enrichissement en fibres chez la descendance a montré une augmentation des taux d’AGCC. La supplémentation en un mélange d’acétate et de propionate dans l’eau de boisson a amélioré les capacités cognitives et sociales, de même que la composition de l’hippocampe et du cortex préfrontal.
Points clés
- L’axe intestin-cerveau est impliqué dans le déficit cognitif et social des enfants nés de mères obèses
- Une alimentation riche en fibres corrige cet effet via le microbiote intestinal
Quelles sont les conséquences en pratique ?
Une modification de l’alimentation des mères obèses ou de leurs enfants avec un enrichissement en fibres, voire une correction de leur microbiote dysbiotique, ouvre de nouvelles perspectives afin d’améliorer les capacités cognitives et sociales de ces enfants.
Conclusion
Le déficit des capacités cognitives et sociales d’enfants nés de mères obèses est induit par des altérations du microbiote intestinal transmis de la mère à l’enfant. Ces anomalies sont corrigées par un enrichissement en fibres de l’alimentation, chez la mère ou l’enfant. Cet effet est médié par les acides gras à chaînes courtes, acétate et propionate.