L’environnement rural réduit l’inflammation allergique en modulant le microbiote intestinal
ARTICLE COMMENTÉ - RUBRIQUE ENFANT
Par le Pr Emmanuel Mas
Gastro-entérologie et nutrition, Hôpital des Enfants, Toulouse, France
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Chapitres
A propos de cet article
Commentaire de l’article original de Yang et al. (Gut Microbes) [1]
L’environnement rural et le microbiote sont liés à une réduction de la prévalence des allergies. Cependant, le mécanisme qui sous-tend cette réduction n’est pas clair. Les auteurs ont évalué la composition bactérienne et fongique intestinale chez des enfants vivant dans le sud de la Chine, à la campagne et en ville (cohorte EuroPrevall-INCO). La composition bactérienne et fongique des poussières en suspension dans l’air provenant des maisons de villes et de compagnes (comprenant la poussière des matelas) ainsi que la poussière des poulaillers (environnement rural) été analysées par séquençage de l’ARNr 16S. Des souris ont été exposées de façon répétée à la poussière par voie intranasale et l’effet sur l’inflammation allergique des voies respiratoires induite par l’ovalbumine (OVA) a été évalué. Les enfants des zones rurales présentaient moins d’allergies et un microbiote intestinal unique avec moins de Bacteroides et plus de Prevotella. Les poussières des environnements ruraux contenaient un niveau d’endotoxine plus élevé et une plus grande diversité de bactéries et de champignons, tandis que les poussières des maisons des zones urbaines étaient enrichies en Aspergillus et contenaient un nombre plus élevé de bactéries potentiellement pathogènes. L’administration intranasale de poussières rurales avant la sensibilisation à l’OVA a réduit les éosinophiles respiratoires et le niveau d’IgE dans le sang chez les souris et a également conduit à une récupération de la diversité bactérienne intestinale et de Ruminiclostridium dans le modèle de souris. Une transplantation de microbiote fécal a rétabli l’effet protecteur en réduisant les éosinophiles pulmonaires induits par l’OVA chez les souris receveuses. Ces résultats montrent que l’exposition à l’environnement rural a modulé le microbiote intestinal et a réduit l’allergie chez les enfants.
Que sait-on déjà à ce sujet ?
Il existe une nette augmentation de la prévalence des pathologies allergiques. Il a été montré que les enfants qui vivent à la campagne sont moins sujets à l’asthme que ceux qui vivent en ville. Dans la maison, la poussière est la principale source de bactéries et de champignons ; sa composition est le reflet de l’environnement intérieur, influencé par les activités extérieures (agriculture), les matériaux de construction et les animaux.
La mise en place du microbiote intestinal au cours des 1 000 premiers jours de vie a un impact sur le développement ultérieur de pathologies allergiques. Certains facteurs bien connus influencent la composition du microbiote intestinal du nourrisson : antibiotiques, mode d’accouchement et alimentation. La dysbiose qui en résulte favoriserait le développement ultérieur de pathologies allergiques. En revanche, l’allaitement et l’accouchement par voie vaginale protègent contre le développement ultérieur de pathologies allergiques ; le microbiote intestinal de ces nourrissons est caractérisé par une prédominance de bifidobactéries, notamment de Bifidobacterium breve. Les contacts diminués avec la nature favorisent une dysbiose intestinale avec une dysrégulation de la balance immunitaire Th1/Th2 en faveur de Th2, qui est la réponse immune adaptative impliquée dans les pathologies allergiques (Cukrowska Nutrients).
Les mécanismes par lesquels la dysbiose intestinale au début de la vie est impliquée dans le développement d’allergies et d’asthme sont mal connus. La poussière des fermes et les lipopolysaccharides bactériens induisent une tolérance à des endotoxines, réduisant ainsi l’asthme allergique.
Quels sont les principaux résultats apportés par cette étude ?
Les auteurs ont comparé les expositions environnementales urbaines et rurales en Chine dans une étude humaine et murine. La cohorte humaine EuroPrevall-INCO a inclus 5 139 enfants urbains et 5 542 ruraux d’âge scolaire. La prévalence d’allergies alimentaires et surtout d’asthme, de rhinite et d’eczéma était augmentée chez les enfants vivant en ville (p < 0,001).
Une étude cas-contrôle a inclus 225 enfants : 151 enfants vivant en ville et 74 en zones rurales. L’analyse du microbiote intestinal de tous les enfants a été réalisée par séquençage du gène de l’ARNr 16S et l’évaluation des voies métaboliques par shotgun. Les données cliniques et des tests allergiques ont été recueillis. Le ratio Prevotella/Bacteroides était significativement plus élevé chez les enfants ruraux (p < 0,001) ; cette différence résulte de Prevotella_9 qui représente environ 25 % des variants amplifiés chez les ruraux et < 5 % chez les urbains (figure 1). Toutefois, il n’y avait pas de différence de composition du microbiote intestinal entre cas et contrôles que ce soit chez les ruraux ou les urbains. L’analyse des voies métaboliques met en évidence14 voies différentes entre urbains/ruraux et 9 entre cas/ contrôles. Parmi elles, la voie produisant du L-lactate est fortement associée à l’allergie et la voie de dégradation des sucres et celle de synthèse de lipopolysaccharides étaient plus fortement présentes dans le microbiote des enfants contrôles.
Pour simuler l’exposition aux environnements microbiens, des prélèvements de poussières de matelas ont été réalisés chez 10 familles rurales et 10 familles urbaines, ainsi que dans 5 poulaillers de familles rurales (ceux-ci pourraient participer à l’environnement microbien des maisons des familles rurales). Enterobacteriaceae et Rhizobiaceae prédominent uniquement dans les poussières des maisons urbaines (figure 2). La diversité alpha et la quantité d’endotoxines sont plus élevées dans les poussières des maisons rurales que dans les maisons urbaines et dans les poulaillers. Enfin, la proportion de bactéries potentiellement pathogènes est significativement plus élevée dans les poussières des maisons de ville. En outre, Aspergillaceae prédomine dans les poussières des maisons urbaines tandis que Trichocomaceae (genre Penicillium) était plus abondant dans les poussières des maisons rurales (où la diversité est plus élevée) et les poulaillers (figure 2).
POINTS CLES
- Les enfants chinois vivant en zone rurale développent moins de pathologies allergiques que ceux vivant en zone urbaine
- La composition du microbiote des poussières est différente
- Dans des modèles murins, l’exposition aux poussières de maisons rurales réduit l’inflammation allergique au niveau respiratoire en modulant le microbiote intestinal
Afin de tester l’impact des poussières environnementales sur les allergies respiratoires via l’altération du microbiote intestinal, les chercheurs ont exposé des souris aux poussières par voie intranasale (modèle d’allergie induite par l’ovalbumine). L’exposition préalable aux poussières des maisons en zones rurales atténuent l’inflammation allergique (infiltration des éosinophiles dans les voies respiratoires et présents dans les lavages bronchoalvéolaires (LBA), IgE spécifiques sériques augmentés). L’augmentation des bactéries potentiellement pathogènes est la plus faible dans le groupe de souris exposées aux poussières rurales ; l’abondance intestinale des Bacteroidales augmente et celle des Clostroidales (incluant des espèces appartenant aux familles Lachnospiraceae et Ruminococcaceae) diminue chez des souris contrôles exposées au PBS ainsi que celles exposées aux poussières urbaines. Enfin, l’abondance relative dans le microbiote intestinal des Bacteroides et Ruminiclostridium est corrélée aux éosinophiles présents dans les LBA (r = 0,59 et p = 0,001 et r = – 0,45 et p = 0,05 respectivement).
Quelles sont les conséquences en pratique ?
Une modulation précoce du microbiote intestinal, qui ciblerait l’effet bénéfique du microbiote des poussières des maisons rurales pourrait permettre de prévenir le développement de pathologies allergiques.
CONCLUSION
Cette étude retrouve des différences de composition du microbiote des poussières provenant de maisons de zones urbaines et rurales en Chine. Celles-ci moduleraient différemment le microbiote intestinal et sa réponse immunitaire dans les pathologies allergiques.